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puce Compte-rendu - Réunion thématique AGTER "Les mécanismes de la dépossession de la terre et de l’eau en Palestine" avec Julie Trottier
Pierre-André Duffrène

Mardi 8 octobre AGTER organisait une réunion thématique sur le thème des mécanismes de la dépossession de la terre et de l’eau en Palestine.

Retrouvez ci-dessous le résumé de l’intervention de Julie Trottier, Directrice de recherche au CNRS spécialisée dans les enjeux politiques de l’eau : "De la tenure foncière Muchâ aux baux emphytéotiques des agri-business, interaction constante de la tenure de l’eau et la tenure de la terre dans l’histoire palestinienne".

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Résumé de l’intervention de Julie Trottier, directrice de recherche CNRS, enseignante à Science Po - Réunion thématique AGTER 2024

De la tenure foncière Muchâ aux baux emphytéotiques des agri-business, interaction constante de la tenure de l’eau et la tenure de la terre dans l’histoire palestinienne

L’histoire agraire palestinienne est longue et complexe, nous allons essayer de la retracer depuis l’époque romaine. A cette époque, furent construites de grandes infrastructures hydrauliques pour alimenter les villes en eau. Les petits aménagements d’irrigation se faisaient au niveau des villages. C’est aussi l’époque d’un premier pic démographique au 5eme siècle (1 millions d’habitants) qui ne sera atteint à nouveau qu’après 1950.

Après les invasions arabes, le Calife Omar a interdit aux arabes d’acquérir de la terre dans les territoires nouvellement conquis. Sans doute pour garantir la paix civile et ne pas perturber la production agricole. Il a donc décrété que les terres appartenait à la communauté musulmane pas aux individus. Les paysans gardent leurs terres mais doivent payer un tribut. En revanche, les terres non cultivées pendant 3 ans peuvent être confisquées par l’État et confié à un autre cultivateur. Cette règle est d’ailleurs toujours en vigueur en Cisjordanie.

Durant l’empire Ottoman, plusieurs recensements de population et production agricoles ont été réalisés. Les fonctionnaires (Sipahi) prélèvent les taxes et protègent les cultivateurs. Les juges (Qadi) règlent les litiges en appliquant simultanément le droit musulman, les décrets ottomans, mais aussi les coutumes locales. Grace à cela, et aux transcriptions des jugements qui ont été conservées dans les tribunaux religieux, on a la possibilité de documenter les coutumes locales entre 1522 et 1918.

Après 1858, le régime Ottoman adopte une réforme foncière pour faciliter les échanges marchands, sous la pression de la bourgeoisie urbaine Dans un premier temps il reconnaît 5 catégories préexistantes : les lots d’habitation (Mulk), les terres dédiées aux religieux (Waqf), les terres villagoises (Miri) autour du village (« à portée de voix », les terres d’usage villageois, situées à plus grande distance (Metruka) et les terres sans maitre (Mewat).

Dans le village, toute la terre était cultivée selon le droit coutumier, avec le système Muchâ. Dans ce système toutes les sols sont périodiquement redistribués de manière égalitaire entre toutes les familles, de même que les droits d’eau. Ceci permettait notamment d’accueillir de nouveaux venus au village, et il y a des exemples d’accueil de juifs immigrants dans les communautés avant 1948.

Mais la nouvelle loi rend également la titrisation des terres obligatoires. Les paysans ont été réticents car ils craignaient que leurs terres soient saisies en cas de dette. Certains inscrivent leur terre au nom des notables. Mais le principal résultat a été la vente par l’État de terres vacantes aux bourgeois des villes, qui constituent alors de grands domaines dans les plaines jusque-là occupées et pâturées par les bédouins. En 1936, 0,3 % de grands propriétaires occupent 36 % des terres principalement dans la vallée du Jourdain, alors que 92 % des petits propriétaires, surtout paysans dans les collines, occupent 27 % des terres. Ces grands propriétaires développent des plantations avec de grands systèmes d’irrigation

En 1928, les Britanniques décident de mettre en place un système d’enregistrement « moderne » basé sur la privatisation et la titrisation , le « land setttlement », qui ne marche pas. Ils y sont poussés entre autres par l’Agence juive qui veut acheter des terres pour les nouveaux arrivants. Après enquête, ils découvrent que la plupart des paysans sont lourdement endettés. Ils réagissent en décrétant la prison pour dettes en 1931, mais aussi en interdisant l’usure en 1934.

L’avènement d’Israel en 1948 provoque le départ de 700.000 palestiniens qui se réfugient pour la plupart en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ceci se traduit par le développement de locations de terres et de métayage dans ces zones. Israël établit sa nouvelle législation foncière, au terme de laquelle 93 % des terres appartiennent à l’État israélien, et 100 % des eaux sont gérées également par l’État.

En 1950, la Cisjordanie est annexée par la Transjordanie. La Jordanie lance un nouvel effort de régularisation foncière sur les terres et les eaux, mais en adoptant cette fois un principe très progressiste : ils effectuent une reconnaissance et validation publique de tous les droits existants au niveau des villages, qui sont alors soigneusement documentés et archivés. Ils commencent au Nord de la Cisjordanie, qui bénéficie depuis d’une bonne sécurisation des droits coutumiers. Selon les villages, les choix faits alors diffèrent, soit de distribuer les terres et droits d’eau équitablement par famille, soit de conserver la gestion communautaire Mecha. Mais les jordaniens n’ont pas le temps d’achever leur travail après l’ occupation par Israël en 1967, qui se traduit par une nouvelle vague de réfugiés en Jordanie.

Après 1967, sont créées les premières colonies de « soldats - paysans » en Cisjordanie, sur la frontière, pour assumer la défense d’Israël. La confiscation de ces terres se faisait au nom de la défense du territoire. Mais en 1970, un jugement par un tribunal israélien invalide une confiscation au nom de la sécurité du territoire, ce qui est jugé contraire au droit international. Sharon développe alors une nouvelle politique : l’occupation des terres vacantes (mewat) en s’appuyant sur le droit ottoman. En effet, selon le droit international, Israël doit respecter le droit existant dans les territoires occupés. C’est cela qui va se poursuivre jusqu’à maintenant avec l’occupation des sommets de collines par des associations sionistes militantes, qui font fuir les pasteurs, plantent des arbres, et font ensuite reconnaître leurs droits par les tribunaux. Ceci va aboutir au mitage généralisé du territoire cisjordanien par Israël et contribue à la sinuosité du mur de séparation construit à partir de 2002.

Il y a également dépossession du fait de la création par Israel de réserves naturelles et parc nationaux aussi bien en Israël que dans les territoire occupés, sur 25 % de la superficie totale.

Les disputes autour de l’eau se multiplient, du fait notamment de la multiplication des forages qui assèchent les nappes et privent les systèmes villageois traditionnels (à base de petits réservoirs et canaux) de leur accès à l’irrigation.

En 1995, les accords d’Oslo essayent de trouver une solution, en répartissant les droits de pompage des trois aquifères principaux entre Israël et la Palestine. Cela aura des résultats catastrophiques, car cet accord, négocié par des hydrologues, confie la gestion de l’eau aux Etats (à l’Autorité palestinienne côté des territoires occupés) et méconnait totalement les droits et institutions locales existants de longue date. L’autorité palestinienne ne reconnaît pas non plus ces droits et considère être la seule à pouvoir accorder des droits d’eau. Elle mobilise beaucoup de financements internationaux pour développer des infrastructures hydrauliques pour l’eau potable (mais pas dans l’irrigation).

Curieusement, la construction du mur en 2002 n’est pas contestée par l’Autorité Palestinienne pendant un an. Coïncidence troublante, tous les puits et forages de l’autorité palestinienne sont soigneusement évités et restent côté palestinien, alors que les systèmes villageois sont souvent coupés en deux.

Devant la pénurie croissante d’eau, Israël décide de développer le dessalement d’eau de mer, qui couvre jusqu’à 90 % des besoins israéliens, et 57 % en Cisjordanie. Le coût est élevé. Mais cela développe une nouvelle ressource, les eaux usées qui vont être retraitées pour être utilisées pour l’irrigation, en particulier dans la plaine du Jourdain, pour le palmier dattier. Les plantations de palmier dattier aussi bien palestiniennes qu’israéliennes s’étendent régulièrement. Les métayers sont expulsés et les plantations clôturées. Des compagnies palestiniennes établissent des baux amphithéotiques sur 50 ans avec les grands propriétaires palestiniens.

Ces eaux sont chargées en sel, et l’irrigation, souvent au goutte à goutte, provoque une salinisation croissante des sols des plantations (en particulier de palmiers-dattiers, le nouvel or vert des plaines du Jourdain) qui vont devenir totalement stériles à terme. Mais personne ne s’en préoccupe ! Accessoirement, cette culture s’accompagne de la lutte contre toutes les « mauvaises herbes » dont certaines font pourtant partie de l’alimentation traditionnelle des populations et de leur sécurité alimentaire (comme la mauve).

A Gaza, l’essentiel de l’eau vient de forages. La nappe phréatique est menacée par la salinisation du côté de la mer, et par la pollution par les intrants agricoles côté Est. De ce fait, les installations d’eau potable reposent sur la dessalinisation des eaux de pompage (par osmose inverse). Mais cela consomme de l’électricité. Depuis le début de la guerre il y a pénurie car l’essentiel de l’électricité provenait d’Israël qui l’a coupée, et les quelques puits qui fonctionnent encore le font souvent grâce aux panneaux solaires qui ont été volés à la grande station d’épuration, NGEST (North Gaza Emergency Sewage Treatment), qui ne fonctionne plus. La situation sanitaire est catastrophique.

Un dernier mot concernant mon collègue Husam Al Najar, qui est maintenant bloqué à Gaza. Le gouvernement français ne lui a toujours pas fourni un visa jusqu’à présent malgré le fait qu’il ait signé un contrat avec l’IRD, dans le cadre du programme PAUSE, selon lequel il devrait travailler au sein de mon laboratoire depuis le 1er février 2024. Sa mère est morte de faim le 18 Aout car elle était bloquée au Nord de Gaza, et il n’a pas pu lui apporter de la nourriture car il était bloqué au Sud et l’armée israélienne lui a interdit de passer.

Discussion par Omar Bessaoud, CIHEAM :

Je voudrais faire un parallèle avec ce que nous avons vécu en Algérie lors de la colonisation française : d’une part l’expropriation des terres coutumières et des forêts communautaires, des confiscations de terre suite aux révoltes paysannes, la tentative d’imposer un droit français en exigeant que les paysans produisent leurs titres, et les processus économiques de dépossession par les taxes, l’usure, la concentration au profit de l’agro-business. Mais dans le cas palestinien, ce qui est frappant c’est que cela se double d’une contradiction avec la bourgeoisie et l’autorité palestinienne qui défend ses propres intérêts dans un système clientéliste. J’ai aussi découvert le rôle des plantations de dattiers pour l’exportation dans cette dépossession de l’agriculture paysanne. En Algérie, le gouvernement actuel a malheureusement maintenu le principe que toutes les forêts sont gérées par l’État, alors que les communautés pourraient y jouer un rôle très utile, pour mieux contrôler les incendies notamment.



 
 
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