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Loi Climat et résilience : « Nous vivons au-dessus de nos moyens écologiques »

Tribune publiée par Le Monde le 14 Juin 2021

Résumé

La Confédération paysanne et quatre associations écologistes déplorent, dans une tribune au « Monde », que la loi « Climat » ne soit pas à la hauteur des enjeux mis en évidence par la convention citoyenne pour le climat, afin de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité.

Cinq semaines de débats à l’Assemblée nationale et plusieurs milliers d’amendements déposés auront seulement permis le maintien d’une multitude de dérogations et de systèmes de compensation qui vont permettre de continuer légalement à détruire notre « écosystème Terre ». Les intentions de la convention citoyenne pour le climat de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre (GES) et de stopper l’extension urbaine ont été largement détournées.

Nous vivons au-dessus de nos moyens écologiques. Pour lutter contre le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité, préserver un potentiel de production de biomasse mis à mal par le dérèglement climatique, il nous faudrait plus d’espaces naturels, agricoles et forestiers ; nous n’en disposons pas. Au regard du déséquilibre global, le code de l’urbanisme ne doit plus faire référence à la notion d’équilibre entre les espaces urbanisés et les autres espaces naturels, agricoles et forestiers.

L’objectif de « zéro artificialisation nette » était déjà critiquable quand France Stratégie [organisme d’évaluation et de prospective rattaché à Matignon] le proposait à l’horizon 2030, mais « l’ambitieux gouvernement » vise 2050! De plus, ce dernier demande aux législateurs de lui donner carte blanche pour définir et mesurer l’artificialisation quand les gouvernements successifs n’ont pas été capables de le faire depuis plus de dix ans.

La réduction de l’artificialisation des sols par les collectivités ne deviendra une obligation qu’en 2027 au sein des plans locaux d’urbanisme, laissant ainsi jusqu’à 2037 pour une simple réduction de 50% du rythme d’artificialisation. De plus cette division par deux en dix ans de l’artificialisation restera un voeux pieux, faute d’instruments fiables et non contestables et de compétences de l’État en matière d’extension urbaine.

Imposture

Autre trouvaille, la désartificialisation ou la « désimperméabilisation » des sols ! Ôter le béton ou le bitume permettrait de compenser la destruction des surfaces « artificialisées ». Une fois le béton et le bitume supprimés apparaissent des terres compactées; l’eau et l’air ne peuvent y circuler, la réserve hydrique y est faible, comme le stock de carbone ; ces terres ne pourront retrouver leur niveau antérieur fonctionnel qu’après plusieurs dizaines d’années au mieux. Si la désimperméabilisation présente un réel intérêt, elle ne peut constituer une contrepartie à l’artificialisation. C’est une imposture!

Le recours à la compensation est présenté comme un outil pour préserver les espaces naturels, agricoles et forestiers qui assurent des fonctions de stockage de carbone, d’eau, d’éléments minéraux, de production de biomasse végétale, animale. Quand une surface de 10 hectares est compactée, imperméabilisée, même après « renaturation » le potentiel agricole et de biodiversité de ces hectares ne peut être considéré comme équivalent à des parcelles déjà existantes. En la matière, la compensation est un leurre. Au mieux un exercice de prestidigitateur. Le développement d’une offre de compensation condamne ladite compensation à n’être qu’un instrument de marché financier.

Il est proposé que les espaces « inutilisés » soient considérés comme des friches et donc susceptibles d’être artificialisés sans trop de contraintes! Faut-il rappeler que les espaces naturels, agricoles et forestiers, « inutilisés » sont des espaces extrêmement précieux; ils constituent des réservoirs de carbone, de biodiversité, de potentiel de production de biomasse avec des usages réversibles. Ce sont des pleins et non des vides et ne doivent plus être considérés comme réservoirs d’extension urbaine.

La compensation basée sur « la logique » de neutralité de la dégradation permet, par exemple pour le secteur aéronautique, de continuer à émettre des GES en évitant simplement la déforestation, donc sans capture supplémentaire de carbone.

La compensation pour l’artificialisation repose sur la disponibilité de terres prêtes à être conservées, restaurées, voire reboisées. Elle tend déjà à favoriser des pratiques d’accaparement de terres, comme le montrent les engagements annoncés par le gouvernement français lors du One Planet Summit de janvier 2021, instaurant des effets de rente avec les crédits carbone ou les primes de restauration écologique.

Diversion

Émergent alors de nouvelles pratiques de contrôle des ressources avec une spécialisation accrue des territoires, entre ceux « non protégés de l’artificialisation » et ceux déclarés « protégés ». Les nouvelles coalitions d’intérêts qui en résultent, par les compromissions qu’elles recèlent, entre acteurs financiers, aménageurs, grands propriétaires fonciers, agro-entrepreneurs et opérateurs de la conservation de la nature, sont porteuses d’une aggravation des conflits d’usages, de valeurs et de crises sociales et politiques.

Ces pratiques instaurent une nouvelle dynamique dans le financement d’actions de conservation de la nature, de reboisements, d’une agriculture de conservation, avec le risque de substitution aux politiques publiques, sans régulation et sans considération de l’intérêt général.

Enfin, la non reprise de l’essentiel des propositions de l’assemblée citoyenne, tirée au sort, le choix de la procédure accélérée, le renvoi à de nombreux décrets, ne renforcent ni les pratiques démocratiques ni la confiance entre les citoyens et l’État. Une fois de plus, le gouvernement veut faire diversion afin de ne pas s’engager frontalement, urgemment, à agir réellement contre les causes du dérèglement climatique et de l’érosion de la biodiversité.

De nombreuses propositions d’amendements avaient été déposées par les différentes organisations non gouvernementales (ONG), certaines n’ont même pas été examinées sous prétexte de cavalier législatif, beaucoup ont été refusées. Nos parlementaires ont la responsabilité d’améliorer cette proposition.

Liste des signataires :

  • Geneviève Bernard, présidente de la Fédération nationale Terre de liens;

  • Cécile Claveirole, membre du bureau de France nature environnement (FNE);

  • Chloé Gerbier, juriste de l’association Notre affaire à tous;

  • Robert Levesque, président de l’association Améliorer la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles (aGter);

  • Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne.