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ITALIE. La réforme agraire. Une expérience significative de modernisation des structures agraires en Europe du Sud au XXe siècle. 3/3. Les résultats.

Fiche 3/3

Rédigé par : Marta Fraticelli

Date de rédaction :

Type de document : Article / document de vulgarisation

Résultats directs et indirects de la réforme

L’enquête de Giuseppe Barbero réalisée en 1962, sur laquelle se base une partie de ce travailG.Barbero1, présente déjà une évaluation positive des résultats, malgré les limites qui ont été signalées.

Par la suite, en 1979, trente ans après la fin de la réforme, de nombreux spécialistes ont discuté et évalué l’expérience de la réforme agraire à partir d’enquêtes de terrain et sur la base d’informations et d’interprétations du contexte dans lequel la réforme s’est développée. Ces analyses permettent de préciser les résultats suivants :

a. en 1975, il reste 97.000 fermes sur les 120.000 qui ont été créées; 80.000 (66%) appartiennent aux attributaires originaux et 17.000 à des exploitant qui les ont acquises successivement. 24.000 établissements ont donc disparu;

b. Seulement 57% des bénéficiaires sont installés sur le fonds constitué au moment de la réforme;

c. Les dimensions moyennes des exploitations se sont renforcées parce que les attributaires ont ajouté à la superficie initiale de nouvelles terres, notamment grâce aux interventions de l’État en faveur de l’achat de terre (Caisse pour la formation de la petite propriété paysanne);

d. Le taux moyen de croissance de la production sur les terres assignées a été de 3,5 % par an, soit un point de plus que la moyenne nationale. Ces chiffres dénotent un fort processus de transformation agronomique et technologique sur ces terres;

e. Dans les exploitations de la réforme, on remarque une présence de jeunes travailleurs plus élevée en moyenne que dans le reste de l’agriculture du pays.

Ces résultats, qui ne sont pas homogènes sur le territoire national, sont déterminés soit par l’évolution territoriale des situations régionales soit par les conditionnements du marché. Ils représentent aussi le résultat de l’activité des Services de la réforme, dont le suivi du développement a été critiqué notamment par rapport au problème des abandons et des expulsions des exploitants les plus faibles2. On a assisté en effet a un phénomène sélectif d’expulsions qui a éliminé du marché un nombre important d’unités marginales; l’exode rural dans les zones de réforme a été dans un premier moment contenu, mais il s’est par la suite développé avec force. Les économies les plus viables se sont au contraire consolidées en incorporant le progrès technique, pour s’insérer sur le marché aussi au travers de structures de type associatif et coopératif. Les exploitations familiales les plus précaires tendent souvent dans le temps à intégrer les revenus avec d’autres activités et à se configurer comme des économies mixtes dans lesquelles le travail agricole est pratiqué à temps partiel.

La réforme agraire a sans aucun doute permis la redistribution d’une partie importante des terres auparavant sous exploitées en faveur des exploitants familiaux et leur intégration dans des mécanismes de marché plus dynamiques. L’observation a posteriori des effets de la réforme permet de soutenir que cette redistribution foncière n’a pas eu un impact seulement sur les aspects sociaux et politiques, mais aussi bien un impact économique qui a permis le développement du rôle du marché.

Les opinions formulées par rapport à la réforme agraire de 1950 sont assez variées et mettent aussi l’accent sur de nombreux aspects critiques. L’intervention, parce qu’elle visait à promouvoir la formation de la petite propriété agricole, s’est focalisée surtout sur la redistribution de la propriété foncière et non sur l’organisation de la production. La mise en œuvre d’un processus de changement structurel de l’économie agricole italienne n’a pas toujours été assurée.

Guido Fabiani3 estime que la réforme a eu seulement un impact limité sur la consolidation des structures agricoles, en se caractérisant comme une intervention d’accompagnement au changement de l’agriculture. Il faut en outre tenir compte des différences régionales: si dans les zones du Centre-Sud le processus de formation de la petite propriété agricole a été fortement stimulé par la réforme agraire, en encourageant l’offre de terres là où existaient de grandes propriétés, dans les régions du Nord, la réforme a été circonscrite à la zone du Delta du Po et le processus d’accès des paysans à la terre a été soutenu plutôt au travers la loi en faveur de la petite propriété agricole4. L’effet le plus important de la réforme est alors de type indirect, n’agissant pas seulement en direction de l’affirmation de l’exploitation paysanne, mais plutôt envers le développement ultérieur d’exploitations capitalistes.

D’après Ada Cavazzani5, la réforme agraire ayant été approuvée pour des raisons essentiellement politiques et sociales, l’assignation même des terres a été basée à partir de critères d’opportunité politique et non de rationalité économique. Ainsi, dans le but d’attribuer la terre au plus grand nombre de paysans, les dimensions des lots assignés ont été très réduites. La politique exécutée par les Services de la réforme s’est configurée comme un appui direct aux exploitations les plus fortes, en ne se révélant pas en état d’empêcher les tendances naturelles d’expulsion des paysans plus faibles; la logique du système dominant, capitaliste, s’affirme dans tout le territoire national, y compris dans les zones de la réforme. Il en va de même de l’instrument coopératif, avec le passage progressif des coopératives à but pluriel aux coopératives spécialisées, qui deviennent un instrument pour soutenir les exploitations les plus viables, en se transformant en agent de modernisation adapté aux tendances du marché, sans attention aux exploitations les plus vulnérables.

Comme le fait remarquer notamment Manlio Rossi Doria6, qui cependant avait été un des principaux partisans de la réforme, l’évolution des structures foncières suite à la réforme agraire de 1950 montre que, malgré l’acquisition des terres par de nombreux petits propriétaires, la propriété continue a être très morcelée, en raison de l’habitude traditionnelle de la diviser. Le tableau suivant montre l’ampleur du morcellement et du changement du régime foncier par suite de la réforme, même s’il convient de rappeler qu’au moment de l’enquête, en 1955, les zones expropriées n’avaient pas encore été toutes attribuées.

Tableau 6 : Répartition des propriétés privées en 1947 et en 1955
     
Groupes de tailleSituation en 1947Situation en septembre 1955
Hectarespropriétés (nb.)Hapropriétés (nb)Ha
< 0,505 135 851874 9895 285 911945 071
0,50 à 22 795 1222 882 9922 944 2933 114 651
2 à 5950 0702 943 3751 013 1293 183 526
5 à 10330 7332 289 669376 7032 593 395
10 à 25192 8152 945 482213 2673 240 033
25 à 5060 8742 104 42762 6262 156 005
50 à 10028 3811 956 45028 4001 960 270
100 à 20012 9181 782 11212 3201 700 000
200 à 5006 5361 946 5955 7301 740 000
500 à 10001 440971 159952570 000
>1000502875 701226370 000
Total9 515 24221 572 9519 943 55721 572 951

Source: G.Barbero, La réforme agraire en Italie. Réalisations et perspectives. FAO, 1962

La tendance envers le morcellement de la tenure familiale est accentuée pendant cette période par le processus qui amené les grandes propriétaires dans la crainte d’être expropriés de leurs terres, a réaliser le morcellement fictif des terres parmi les membres de la famille ou à la location des parcelles à des travailleurs avec obligation de réaliser des amélioration.

La formation des petites exploitations ou exploitations familiales n’est pas également répartie sur le territoire des six districts de réforme agraire parmi lesquels les exploitations de moins ou de plus de 5 hectares n’ont pas toutes la même importance. En particulier, les exploitations de plus de 5 hectares se retrouvent rarement dans le sud, alors qu’elles prédominent dans la Maremme et plus encore dans le delta du Po, où la taille moyenne des exploitations corresponde mieux aux besoins de la production capitaliste. Exception faite peut-être pour les fonds lacustres du Fucino (situés dans la région Abruzzo), les sols du delta du Po sont bien meilleurs de ceux des autres régions de réforme; la productivité des terres va en décroissant progressivement au fur et à mesure que l’on va vers le sud.

Dans les zones Nord de la réforme agraire, les exploitations de plus de 20 hectares sont relativement plus nombreuses que dans le Sud. Parmi les exploitations de plus de 20 ha, c’est dans le delta du Po que l’on trouve les plus grandes; il s’agit souvent d’exploitations appartenant ou louées par des coopératives.

Tableau 7 : Répartition des exploitations, d’après leur taille, dans les régions réformées en 1955
         
Districts< 5ha5-20 ha> 20haTotal< 5ha5-20 ha> 20haTotal
NombreSuperficie (ha)
Chiffres absolues
Delta du Po740362132560161761723055463177650250343
Maremme7563629645605011331179170261420290243730833
Fucino8564521 9085165043838 20342
Pouille-LucanieMolise1670854377296722205293377063622255819741281905
Calabre4451216507258562667100916143953150089394958
Total303200967212086742378865152682689911999562678381
 Pourcentage
Delta du Po45,838,415,81006,922,270,9100
Maremme67,938,415,810024,535,839,7100
Fucino94,35,7 10081,118,9 100
Pouilles-Lucanie-Molise75,819,84,410026,328,345,4100
Calabre69,926,04,110025,636,438,0100
Total72,023,05,010024,330,944,9100

Source: G.Barbero, La réforme agraire en Italie. Réalisations et perspectives. FAO, 1962

 

Sidney G. Tarrow7 soutien que la réforme agraire italienne représente la fin d’une structure de la propriété foncière d’empreinte féodale qui avait caractérisé longtemps les campagnes italiennes. Cela a permis le changements de tous les rapports politiques et sociaux, connus avec le nom de clientélisme, qui déterminaient notamment les structures agraires des régions du Mezzogiorno. Le rôle principal de la réforme agraire consiste en reformuler le déséquilibre existant entre la propriété paysanne et le latifundium, en permettant l’autonomie productive de la première et la substitution des grandes propriétés improductives avec des cultures plus efficientes.

Par delà les interprétations et les discussions, la réforme agraire représente pour certains auteurs l’épisode le plus significatif de la politique agraire italienne, et peut-être l’acte législatif le plus important de l’après guerre8.

 

1La réforme agraire en Italie. Réalisations et perspectives. FAO, 1962

2A.Cavazzani, La riforma agraria come strumento di integrazione e modernizzazione, dans “Rivista di Economia Agraria” n°4, 1979

3G.Fabiani,L’agricoltura italiana tra sviluppo e crisi (1945-1985). Il Mulino, 1986

4Le d.l. n°114 du 24 février 1948, “Provisions en faveur de la petite propriété agricole” prévoyait des actions visées à favoriser la formation spontanée de la petite propriété agricole à travers la concession de crédits facilités et la réduction du poids fiscal sur les actes de transfert des fonds rustiques. Dans le but de augmenter les effets du d.l. n°114, le d.l. n°121 du 5 mars 1948 institut la Caisse pour la formation de la petite propriété agricole, avec l’objectif de pourvoir à l’achat des terres, à leur éventuelle parcellisation et à la vente à des exploitant seuls ou associés en coopérative.

5A.Cavazzani,La riforma agraria come strumento di integrazione e modernizzazione, dans Rivista di Economia Agraria, n° 4, 1979

6Manlio Rossi Doria est un des plus importants spécialistes d’économie agraire italiens. Il a fondé en 1959 le Centre de Spécialisation et Recherche Economique-Agraire pour le Mezzogiorno.

7TARROW S.G.,Partito comunista e contadini nel Mezzogiorno, Einaudi, 1972

8Corrado Barberis dans La riforma fondiaria: trent’anni dopo, Franco Angeli, 1979

Bibliographie

BARBERIS C., La riforma fondiaria: trent’anni dopo. Franco Angeli, 1979

BARBERO G., La riforme agrarie en Italie. Réalisations et perspectives. FAO, 1962

CAVAZZANI A., La riforma agraria come strumento di integrazione e modernizzazione. In Rivista di Economia Agraria, n°4, 1979.

DE BENEDICTIS M., Riforma e politica delle strutture. In Rivista di Economia Agraria, n°4, 1979.

FABIANI G., L’agricoltura italiana tra sviluppo e crisi (1945-1985). Il Mulino, 1986

TARROW S.G.,Partito comunista e contadini nel Mezzogiorno, Einaudi, 1972

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