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Fonds documentaire dynamique sur la
gouvernance des ressources naturelles de la planète

Opportunités et défis d’une approche par les communs de la terre et des ressources qu’elle porte. Préface de Gaël Giraud

Une publication du Comité Technique Foncier et Développement

Rédigé par : Gaël Giraud, Sigrid Aubert (Cirad), Martine Antona (Cirad), François Bousquet (Cirad), Camilla Toulmin (IIED), Patrick d’Aquino (Cirad)

Date de rédaction :

Organismes : Comité technique « Foncier et développement » (CTFD), Agence Française de Développement (AFD), Ministère des Affaires Étrangères et Européennes (France) (MAEE)

Type de document : Étude / travail de recherche

Documents sources

Comité technique « Foncier & développement », 2017, Opportunités et défis d’une approche par les communs de la terre et des ressources qu’elle porte, Paris, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), Agence française de développement (AFD), 86 p.

Résumé

PREFACE

Nos sociétés, au Nord comme au Sud, font face à des crises environnementales, alimentaires, financières et économiques imbriquées les unes dans les autres. Tenter d’en démêler l’écheveau est devenu une tâche d’autant plus complexe que le court-termisme qui caractérise désormais nos institutions, notre comptabilité, nos politiques publiques … n’aide guère à prendre le recul nécessaire à une telle entreprise. Et pendant que beaucoup d’entre nous gardent les yeux rivés sur les cours de bourse (comme si ceux-ci pouvaient nous livrer la moindre information pertinente sur notre avenir ?), de nombreuses ressources naturelles se dégradent ou se raréfient et les inégalités d’accès à ces dernières se creusent. L’eau potable commence à manquer non seulement en Syrie (où la gestion calamiteuse de la sécheresse de 2007-2010 a contribué au désastre de la guerre civile), ou à Amman (qui puise en partie son eau dans une source fossile située à 400 m sous le sol, laquelle sera vraisemblablement épuisée dans une génération), mais encore à Cape Town, à La Paz et même dans le delta du Mékong vietnamien, où la baisse du débit du fleuve (induite par la fonte des glaciers himalayens) n’est évidemment pas compensée par la hausse alarmante du niveau de l’océan dont les vagues font reculer les cordons côtiers menaçant riziculture et aquaculture.

Si nos sociétés ne modifient pas très vite leur rapport aux ressources naturelles, nous allons probablement au-devant d’effondrements majeurs de régions, voire de continents entiers. La communauté internationale avait été alertée, dès 1972, par la formidable équipe du couple Donella et Denis Meadows1. En dépit du succès de librairie que connut ce rapport, les instances en charge de l’intérêt universel et du long terme ont-elles tenu compte, depuis lors, de son avertissement ? D’immenses progrès ont été faits dans la prise de conscience et les pratiques des populations défavorisées contraintes de s’adapter pour survivre, mais les élites, protégées par leur confort, refusent de voir qu’elles doivent renoncer au modèle de vie texan. En 2015, un autre avertissement a été lancé à la communauté internationale, via un nouveau rapport remis au Club de Rome, celui du chimiste italien Ugo Bardi2. Cette fois, dans l’indifférence quasi générale des médias … . Pourtant, de nouveau, il y est question de raréfaction des ressources naturelles enfouies dans le sous-sol terrestre. Les travaux menés à l’Agence française de développement ne font malheureusement que confirmer ce nouveau cri d’alarme3.

Ainsi la planète pourrait-elle atteindre le pic d’extraction du cuivre avant 20504 – un ingrédient essentiel de l’industrie contemporaine, dont les infrastructures nécessaires aux énergies renouvelables sont encore plus gourmandes que celles qui permettent l’exploitation des hydrocarbures, et sans lequel par conséquent la transition vers des énergies renouvelables promet d’être extrêmement problématique.

Et nous savons, hélas, que la mauvaise gestion internationale des ressources terrestres et en eau peut conduire à de véritables génocides. À la fin du XIXe siècle et jusque dans les années 1970, plus de cinquante millions de personnes trouvèrent la mort dans des famines aussi violentes qu’ignorées du monde occidental, survenues quasi simultanément en Inde, au Brésil, en Chine et en Afrique5. Déclenchées par le phénomène El Niño, la sécheresse et les inondations provoquèrent en effet des épidémies fulgurantes, l’exode des populations rurales et des révoltes brutalement réprimées par les administrations coloniales. La « négligence active » de ces dernières et leur foi aveugle dans le libre-échange aggravèrent de façon meurtrière ces situations catastrophiques. De même, Josué de Castro publie sa géographie de la faim en 19536, témoin de ce que le problème est loin d’avoir disparu un siècle plus tard. Des grandes famines en Inde, au Bangladesh et même en Chine – à l’heure de la tristement célèbre Révolution culturelle –, au Sahel7, en Éthiopie (la chute de l’empereur) sévissent jusque dans les années 1970. Sommes-nous capables d’éviter la réédition de telles tragédies ?

Il y a donc urgence à nous engager dans des transitions écologique, économique et sociale susceptibles de faire émerger les sociétés que nous voulons. Quels que soient leurs détails, pareilles sociétés supposent toutes de sortir de l’illusion, vivace depuis le XVIIIe siècle, de la suprématie de la propriété privée comme unique rapport aux ressources naturelles. Car c’est bien la privatisation du monde qui est l’une des racines du problème environnemental : celle qui permet à un citoyen américain d’extraire du pétrole de son jardin ou encore aux flottes de pêche industrielles du monde entier de décimer la faune halieutique de nos océans. Au fond, la propriété privée est une invention récente, importée du droit romain à travers sa réécriture par les juristes médiévaux de la réforme grégorienne, à la fin du XIe siècle. Peut-être même son écriture initiale au sein du droit romain provient-elle d’un transfert à la relation homme-chose du rapport étrange qu’entretient un maître avec son esclave. Elle conjugue, en tout cas, trois types de rapports aux choses qui n’ont pas nécessairement vocation à être liés entre eux : le droit d’usage, celui de faire fructifier un bien, celui de le détruire.

La terre et la mer, les ressources qu’elles peuvent nous livrer – au premier chef, l’eau et les minerais, mais aussi, bien sûr, les produits de l’agriculture, de la pêche, des forêts – sont au cœur de ces questions. Or, sitôt que l’on ôte les lunettes du seul droit de propriété privée, la diversité des régimes fonciers saute aux yeux : ils se caractérisent, dans leur majorité, par une hybridation des normes et des institutions héritées de la colonisation et des droits coutumiers, produisant un enchâssement des régimes de propriété qui se prête à de multiples interprétations et, parfois, au déchaînement de la violence. Ainsi en est-il lorsque des investisseurs (nationaux ou étrangers) se voient attribuer par des procédures « modernes », au motif de l’intérêt public et de la domanialité, des surfaces cultivables et même irrigables de très grande taille, au mépris des droits des agriculteurs et des éleveurs du lieu, confinés sur des petites surfaces ou bloqués dans leurs indispensables transhumances, et au mépris des droits de leurs descendants. Mais la nécessité d’inventer de nouvelles formes de régulation communautaire se fait sentir, même là où prédominent les droits coutumiers. C’est parfois le cas, en Afrique sahélienne par exemple, lorsqu’éclatent des conflits entre agriculteurs du Sud et pasteurs nomades du Nord. La densification des cultures, la croissance des troupeaux, le climat font que les coutumes sont débordées …

Il ne s’agit ni de déconstruire toute forme de propriété privée, ni de plaider pour une propriété publique tous azimuts dont les tragédies totalitaires du XXe siècle ont montré qu’elle est aussi capable de conduire au pire8. Mais de réfléchir en termes de faisceaux de droits permettant d’assurer un usage durable et équitable des ressources par tous.

Conformément à ses objectifs liés de réduction des inégalités et de protection de l’environnement, la coopération française plaide de longue date, au niveau international, pour une réconciliation entre la légalité et la légitimité des multiples formes de tenure foncière qu’on observe dans le monde. Cela implique une reconnaissance explicite, inscrite dans la loi, des droits existants et constatés, quelle que soit leur origine (coutumière ou étatique). Et aussi une juste appréciation de l’état et du potentiel des ressources naturelles concernées. Ces deux dimensions, reconnaissance des droits et connaissance des ressources, ont vocation à permettre à l’ensemble des parties prenantes de devenir les acteurs de politiques foncières porteuses d’un développement économique et social durable des territoires ruraux et urbains9.

Sous l’égide du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de l’Agence française de développement, le Comité technique « Foncier & développement » (CTFD) a réalisé depuis maintenant vingt ans une série de travaux alimentés par cette conviction10. Avec ce nouvel ouvrage, fruit d’un regard collectif sur une grande variété de communs, le CTFD s’efforce de renouveler notre compréhension de la diversité des modes d’usage de la terre et des ressources naturelles. Les communs y occupent, et à juste titre, une place centrale. Par « communs », on entend toute espèce de ressource dont une communauté (éventuellement instituée à cette occasion) s’engage à préserver et à partager l’accès entre ses membres, ayant fait l’expérience que l’appropriation privative de ladite ressource menace de la faire disparaître. Préserver l’accès à ladite ressource – qu’il s’agisse d’eau, d’une forêt, de minerais, etc. – suppose d’apprendre à distinguer entre ses différents droits d’usage et de renoncer à en faire une marchandise que l’on pourrait céder au plus offrant.

Le lecteur l’aura compris : de notre capacité à administrer correctement nos communs dépend l’aptitude d’une large part de l’humanité à éviter les catastrophes que j’évoquais en ouverture de cette préface.

Alliant questionnements scientifiques et réflexions de praticiens du développement, les pages qui suivent contribuent à une analytique des communs indispensable à une action politique. Loin d’une vision naïvement rousseauiste des communs, et en particulier des droits coutumiers – parfois inégalitaires et non démocratiques – les quatre parties qui composent cet ouvrage explorent la manière dont des politiques publiques de développement durable peuvent aujourd’hui mettre en œuvre et promouvoir une approche par les communs de « la terre et des ressources qu’elle porte ». Ce faisant, elles esquissent un horizon politique pour un « développement (authentiquement) durable » : celui de sociétés où la terre ne serait plus livrée au pillage à grande échelle actuel qui finira, à brève échéance, par compromettre les conditions mêmes de viabilité d’une partie de l’humanité. Celui d’un monde en commun, moins inégalitaire où tous, femmes et hommes, enfants et seniors, auraient accès, quelle que soit la couleur de leur peau, aux fruits d’une Terre préservée et de leur travail justement rémunéré.

Gaël Giraud est économiste en chef de l’Agence française de développement, directeur de la chaire Énergie et prospérité, directeur de recherche au CNRS.

1 Meadows D. H. (2012), Les limites à la croissance (dans un monde fini) : le Rapport Meadows, 30 ans après, Rue de l’Échiquier.

2 Bardi U. (2015), Le grand pillage : comment nous épuisons les ressources de la planète : [le nouveau rapport choc du club de Rome]. Les petits matins : Institut Veblen pour les réformes économiques.

3 Giraud G., Mc Isaac F., Bovari E., Zatsepina E. (2017), Coping with the Collapse: A Stock-Flow Consistent Monetary Macrodynamics of Global Warming, Updated version: January 2017, AFD Research Paper Series, n° 2017-29 bis, janvier 2017.

4 Rostom F., Giraud G., Vidal O. (2015), « Can The Interdependence Between Energy And Matter Resources Lead to An Economic Collapse? », in The Dynamic Energy Landscape, 33rd USAEE/IAEE North American Conference, Oct 25-28, 2015, International Association for Energy Economics.

5 Davis M. (2006), Génocides tropicaux - Catastrophes naturelles et famines coloniales. Aux origines du sous- développement, La Découverte.

6 De Castro J., Buck P. S., Orr J.-B., Sorre M. (1953), Geopolítica da fome: ensaio sobre os problemas de alimentação e de população do mundo.

7 Meillassoux C. (1974), « Development or exploitation: is the Sahel famine good business? », Review of African Political Economy, 1(1), 27-33

8 Peut-être d’ailleurs l’utopie d’une privatisation intégrale de l’espace social est-elle mystérieusement liée à celle, tout aussi destructrice, d’une absorption complète du même espace par la propriété publique. N’est-ce pas le sens ultime de la thèse de Karl Polanyi ?

9 Urbains aussi. En effet, qu’est-ce qu’une ville, sinon un territoire où l’on met en commun un certain nombre de services ? Les difficultés que traverse un pays comme l’Afrique du Sud, aujourd’hui, pour briser l’apartheid géographique qui continue de diviser ses grandes métropoles, témoignent du fait qu’il n’est rien de plus simple en apparence, et de plus difficile en réalité, que de créer des communs au sein de populations réticentes à vivre ensemble.

10 Livre Blanc sur les politiques foncières. Gouvernance foncière et sécurisation des droits dans les pays du Sud (2009) ; Les appropriations de terres à grande échelle : analyse du phénomène et propositions d’orientations (2010) ; et La formalisation des droits sur la terre dans les pays du Sud (2015).

Le document complet est disponible sur le site du Comité technique Foncier et développement, sur cette page.

SOMMAIRE

Préface

  • Liste des sigles

  • Liste des encadrés

  • Avertissement

  • Résumé exécutif

Introduction

PARTIE 1. Les enjeux d’une « approche par les communs » appliquée aux pratiques foncières

  • Faciliter l’adaptation des sociétés face aux changements globaux

  • Arbitrer les conflits d’intérêts qui opposent les investisseurs privés aux populations locales sur l’accès à la terre

  • Promouvoir le respect des droits de l’homme et la justice sociale dans le traitement des questions foncières

  • Appuyer des modes de gestion du foncier favorables à la paix et aux équilibres territoriaux

PARTIE 2. L’adoption d’une définition modulable des « communs tissés autour de la terre et des ressources qu’elle porte »

  • Entrée par les ressources

  • Entrée par les régimes d’appropriation

  • Entrée par l’écosystème

  • Entrée par les communautés

  • Entrée par la gouvernance

  • Entrée par les pratiques

PARTIE 3. Une grille de lecture pour initier l’approche par les communs des questions foncières

  • Aller au-delà des « communs fonciers »

  • Aller au-delà de la gestion communautaire

  • Saisir les communs en « situation d’action »

PARTIE 4. Six principes directeurs pour mobiliser l’approche par les communs sur les questions foncières

  • Principe 1 : Reconnaître et faire reconnaître, le cas échéant, la prévalence des communs

  • Principe 2 : Mieux comprendre l’environnement des communs concernés par les interventions de la coopération internationale

  • Principe 3 : Accompagner et renforcer les communs clés

  • Principe 4 : S’assurer que les interventions exogènes proposent des changements de comportement sociablement acceptables

  • Principe 5 : Proposer un accompagnement basé sur le copilotage et la subsidiarité

  • Principe 6 : Mettre en œuvre un suivi-évaluation réflexif

Conclusion

Postface

  • Bibliographie

  • Lexique franco-anglais des principaux termes employés