Le parc National Yasuní en Équateur a été constitué en 1979. En 1989, cette zone d’exceptionnelle diversité biologique et habitée par des communautés amérindiennes a été constituée en Réserve Mondiale de la Biosphère, dans le cadre du programme de l’Homme et la Biosphère de l’UNESCO. Mais voilà. On sait, depuis, qu’il y aurait l’équivalent de 850 millions de barils de pétrole brut sous le parc, soit environ 20% des réserves totales connues du pays... L’Équateur a eu une expérience assez traumatisante avec l’extraction du pétrole brut en Amazonie. L’entreprise Chevron Texaco est accusée d´avoir massivement contaminé la forêt équatorienne, essentiellement ses cours d’eau, en y rejetant des produits toxiques et des déchets liés à l’extraction du pétrole entre 1964 et 1990. Ceci aurait joué un rôle dans l’augmentation des maladies des habitants de la région, notamment les cas de cancers. Un procès est en cours.
En 2007, le Président Correa lançait une proposition à la communauté internationale : il déclarait que le meilleur choix pour le pays est de laisser le pétrole dans le sous-sol du parc Yasuní. Pour cela, il entend mobiliser la communauté internationale pour soutenir le pays dans l’application de cette décision coûteuse (environ un quart du PIB de l’Équateur est généré par les hydrocarbures, dont les exportations représentent 60 % des revenus). L’objectif du gouvernement est d’obtenir 50% des revenus qu’il obtiendrait par l’extraction du pétrole de ce projet. La procédure consiste en l’émission de bons par l’État pour le pétrole qui restera enfoui, avec le double engagement de ne jamais extraire ce pétrole et de protéger le Parc National Yasuní. Le site « SOS Yasuní » reprend un extrait de la proposition officielle : « Il est important de prendre en compte le fait que, en cas d’exploitation de l’ITT [du nom de la zone où se trouvent les réserves de pétrole], l’État recevrait 350 millions de dollars pendant 10 ans à partir de la 6ème année, et ensuite cette somme diminuerait chaque année. On cherche à générer une alternative qui permette à l’État de percevoir 50% de ces revenus, sous forme d’une rente permanente. Ces sommes seraient destinées à des activités qui libèreront le pays de la dépendance des exportations et importations, et qui consolideraient sa souveraineté alimentaire ».
Cette « proposition équatorienne » a reçu un accueil parfois enthousiaste. L’Allemagne s’est engagée à financer ce projet à hauteur de 50 millions d’euros par an, pendant 13 ans. En France, le Parti de Gauche évoque « le principe onusien de responsabilité commune mais différenciée pour les problèmes environnementaux globaux » et s’enflamme : « Le projet ITT représente (…) une amorce de transition écologique pour aller vers un modèle alternatif de développement non productiviste et respectueux de la «Madre Tierra», de la nature, pour l’Equateur et le reste du monde ». La proposition équatorienne a un peu évolué depuis 2007. Il est maintenant question de recourir au marché volontaire de la « compensation carbone » pour lever des fonds. Dans un entretien au Figaro du 14 juillet 2010, la ministre équatorienne du Patrimoine en charge du projet Yasuní ITT déclare : « Le parc de Yasuní abrite une biodiversité qui n’est pas la propriété de l’Équateur mais du monde entier. Tout le monde a intérêt à la préserver (…) Cette proposition participe à la lutte contre le réchauffement climatique. L’exploitation du champ Yasuní ITT aurait provoqué de la déforestation ». Elle ajoute ensuite : « Nous émettons des certificats de garantie de non-exploitation du pétrole. Nous avons bon espoir de faire entrer ces certificats dans le mécanisme de réduction des émissions de CO2 pour déforestation. Des négociations sont en cours pour les rendre négociables sur le marché des droits à polluer. Nous avons bon espoir d’obtenir un accord en Amérique du Nord où ce marché n’a pas la même régulation que le marché européen ».
Que penser ? Nul ne doute qu’il y ait de la sincérité dans la proposition équatorienne et on peut comprendre l’intérêt qu’elle a suscité auprès de mouvements environnementalistes. Laisser le pétrole sous terre est la meilleure manière de lutter contre les changements climatiques et le principe d’une aide pour aider à prendre en compte les surcoûts d’une trajectoire écologiquement vertueuse est indiscutable. Mais plusieurs objections peuvent également être formulées.
Techniquement, la position équatorienne oscille entre, d’un côté, l’appel à un d’arrangement totalement novateur fondé sur la « responsabilité commune mais différenciée », la référence aux biens publics mondiaux (« la biodiversité appartient au monde entier ») et, d’un autre côté, le recours très prosaïque au marché du carbone. Comme il n’est pas possible de demander des crédits carbone pour « extraction (de pétrole) évitée » (d’une part il n’existe pas de mécanisme en ce sens, d’autre part sans baisse correspondante de la demande, le pétrole non extrait ici le sera ailleurs), la ministre indique que l’Équateur va tenter d’utiliser le principe de « déforestation évitée », principe admis depuis la Conférence sur le Climat de Bali mais qui n’est pas encore opérationnalisé au travers d’un mécanisme REDD (Réduction des Émissions issues de la Déforestation et de la Dégradation) toujours en négociation. Or, utiliser ce principe de déforestation évitée implique une évaluation précise de la déforestation qu’entrainerait l’exploitation du pétrole, et sa traduction en termes d’émissions potentielles de CO2. Certes, on peut imaginer que l’exploitation pétrolière causera des dégâts importants aux arbres du parc national, mais il est bien peu probable que le montant des paiements carbone correspondants soient aussi élevés que la rente décennale correspondant à 50% des revenus pétroliers anticipés sur dix ans… En outre, les paiements pour déforestation évitée (possibles sur le marché volontaire, pour l’instant) constituent un « fusil à un coup » : il n’est pas question de payer chaque année pendant dix ans ou plus pour ne pas couper les arbres, le paiement – s’il est justifié – est effectué une fois pour toute au prix de la tonne de carbone évitée, et non pas réitéré chaque année au prétexte que la menace est toujours là.
Ensuite, l’arrangement proposé n’offre aucun garantie que des forages ne soient pas entrepris dans quelques années (après le paiement de la rente décennale), surtout si le président Correa a quitté le pouvoir et que le prix du baril s’est envolé avec l’épuisement progressif des réserves mondiales les plus accessibles. On imagine comment un discours nationaliste pourrait s’emparer de la chose en stigmatisant un « impérialisme vert » qui empêcherait l’Équateur de bénéficier de sa rente pétrolière en échange d’un pourboire écologique… Et, à court terme, on peut imaginer que des tensions et des pressions à la renégociation se feront jour si le prix du pétrole s’envolent pendant la période des dix ans de versement des compensations.
Enfin, il y a le précédent que causerait un tel accord. Qui empêchera ensuite les autres pays disposant de forêts, de zones humides ou simplement riches en biodiversité, dans ou hors leurs parcs nationaux, de demander des compensations pour ne pas exploiter le pétrole ou les minerais de leurs sous-sols ? Déjà, le Guyana avait « innové » fin 2008 en voulant négocier des compensations financières pour ne pas mettre en œuvre un « scénario économiquement rationnel » (bien qu’assez improbable…) qui l’aurait conduit à laisser détruire 90 % de son couvert forestier en 25 ans pour faire du palmier à huile. Si la proposition équatorienne était mise en œuvre, l’exemple risquerait de rendre bien vite caduque dans les autres pays toute initiative désintéressée de conservation et ouvrir la voie à une surenchère permanente (« payez-moi ou je laisse détruire mes forêts ! »).
L’idée d’aider l’Équateur à financer une transition énergétique et, au-delà, celle vers une économie diversifiée s’appuyant sur la valorisation des services environnementaux – à l’image du Costa Rica dont le tourisme en bénéficie directement – reste pertinente à condition de dissocier cette aide de toute forme de marchandage financier sur le sort du parc national Yasuní. Le succès du Costa Rica montre également qu’au-delà de la préservation de quelques zones remarquables c’est la crédibilité de l’ensemble de la politique environnementale d’un pays qui est déterminante pour susciter la confiance et les dynamiques de coopération. L’Équateur, jusqu’à maintenant, n’a pas montré beaucoup de détermination à appliquer ses propres lois (plutôt bonnes) de gestion des forêts, près des ¾ de l’exploitation seraient illégales et la frontière agricole avance rapidement entraînant un taux de déforestation élevé (près de 200.000 ha par an). Si l’affaire du Parc Yasuní constitue le point de départ d’un changement des politiques publiques équatoriennes, elle aura été utile. Sinon, elle risque surtout de constituer un dangereux précédent.