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puce Des forums mondiaux de l'eau contrastés en 2012 : le pas en arrière du forum officiel, le pas en avant du forum alternatif
Thierry Ruf

Le Forum Mondial de l’Eau de Marseille déclassé, enfermé dans son système d’experts et d’intérêts politiques et bridé lui même par ses exigences tarifaires pour accéder à la foire commerciale et aux débats de spécialistes.

Si on voulait apprendre quelque chose de neuf en matière de gestion sociale de l’eau, de gouvernance, de démocratie sur l’eau, les différents fora alternatifs ont montré leur utilité. On retiendra :

- la déclaration de principes du colloque eau, planète et peuple organisé par France-libertés et le Conseil régional de Provence-Alpes-Cote d’Azur,
voir http://www.france-libertes.org/Declaration-finale-d-Eau-Planete.html

- les débats engagés du forum d’Aubagne et les sessions thématiques du forum de Marseille aux docks du sud, portant par exemple sur la création d’un tribunal international de l’eau, chargé entre autres de soutenir les citoyens victimes des dégradations de la qualité des eaux par des acteurs économiques impunis dans leur propre pays.

Voici pour la semaine des fora de Marseille des billets d’humeur publiés sur le site Youphil.com (à l’exception du 3e consacré à la journée AIGO)


Marseille, Lundi 12 mars 2012
Le FME démarre avec un « imProglio » politique. Le Président fait défaut.

A Marseille, les forums de l’eau se sont ouverts avec deux contrastes saisissants : le Forum Mondial de l’Eau (FME) démarre sans Président de la République tandis que le Forum Alternatif Mondial de l’Eau (FAME) engage la bataille de l’eau publique sous l’égide de France Libertés de feu Danielle Mitterrand, deux jours avant l’ouverture du forum officiel.

Il y a quelques jours, Nicolas Sarkozy renonçait à venir inaugurer l’un des évènements les plus suivis et controversés de 2012, le Forum Mondial de l’Eau organisé avec faste au Parc Chanot. La raison invoquée est le risque de confusion entre les meetings du candidat et les fonctions du Président. Curieuse retenue, car le forum est a été avancé d’une semaine par les organisateurs : tous les trois ans, il est normalement calé autour du 22 mars, journée mondiale de l’eau. En choisissant la semaine du 12 au 17 mars, l’inauguration gardait le caractère officiel et attendu d’un chef d’Etat accueillant cette grande manifestation de la mondialisation. Vingt mille personnes sont attendues dans ce forum « des solutions ». On peut aussi penser que la lutte qui a opposé, il y a deux semaines à peine l’Elysée, le directeur général d’EDF, M. Proglio et le directeur général de Véolia, M. Frerot, n’est pas étrangère à cette soudaine défection. Dans cet épisode où est passé furtivement l’ancien Ministre de l’Environnement, M. Borloo, les conceptions du monde de l’eau et des services ont été revues et corrigées : face au surendettement de Véolia, M. Frerot prône une solution de restructuration industrielle rigoureuse en limitant le nombre de pays et d’opérations, tandis que les autres protagonistes voyaient bien la poursuite du modèle de conquête tout azimut que M. Proglio avait mis en place. Chacun ses solutions …

Rien ne va plus dans le monde politique et économique de l’eau, où les effets de la crise générale se décuplent avec les tensions stratégiques internes aux entreprises, leur mise en cause par l’Union Européenne qui soupçonne des ententes préjudiciables aux citoyens et la montée des contestations dans le Monde entier, y compris sur la rive sud de la Méditerranée où le printemps arabe a aussi mis en cause le système des délégations de service de l’eau aux multinationales françaises.

C’est ainsi que le Premier Ministre s’est chargé de la séance inaugurale. On va donc discuter pendant cinq jours des solutions de toute nature. Pour autant, est-ce qu’on est bien sur de partager le même questionnement ?

Dès Vendredi, démarrait la première rencontre du FAME soutenue par le Conseil Régional de Provence Alpes Côte d’Azur, et effectivement inaugurée par son Président, M. Michel Vauzelle. Et là, dans l’amphithéâtre où siègent d’habitude les élus, une sorte de parlement de l’eau a débattu, non pas de solutions toutes faites, mais de principes préalables, de politique et d’éthique. C’était bien sûr un hommage à Danielle Mitterrand célébré ici mais aussi dans les pays du Sud et singulièrement en Bolivie, où elle avait passé son dernier voyage à l’étranger. La région PACA semble transportée par une réforme totale de sa politique de l’eau avec quelques principes remarquables : le premier est le caractère spécifique méditerranéen sur les plans environnementaux et culturels implique de chercher non pas des solutions universelles mais des solutions adaptées aux question d’aménagement et de gestion des eaux. Le second est la solidarité entre les territoires et entre les groupes sociaux, ce qui implique que les solutions passent par des contributions différenciées. Le troisième est la sobriété, c’est à dire la mise en place de véritables politiques de consommation raisonnable de l’eau. Le dernier et non pas le moindre est la maîtrise publique de l’eau autour de la notion de bien commun. Pour souligner combien il est important de bien traiter les questions complexes de l’eau avec une participation des citoyens d’une région, M. Vauzelle précise que les démarches entreprises depuis deux ans en PACA se poursuivront sous forme d’Etats Généraux de l’Eau renouvelés tous les ans. Une entrée en matières très utile pour l’expression des ateliers dans tous les forums.

Mardi 13 mars 2012
Le FME asséché par une faible participation, une programmation confuse et des résultats déjà maintes fois énoncés.

Au deuxième jour du Forum Mondial de l’Eau, ce mardi 13 mars 2012, un constat s’impose. Ce n’est pas le désert, mais il semble bien qu’il n’y ait pas la foule attendue. Où sont les 20000 ou 30000 participants ? En parcourant le grand hall 3 d’exposition, on est frappé à la mi-journée par la facilité à se déplacer dans des allées entre des stands d’entreprises et d’organisations internationales. Quelques orateurs tentent de présenter leurs idées, leurs solutions au public clairsemé et rarement attentif. Le brouhaha rend difficile l’écoute studieuse. Au village des solutions, une oratrice américaine essaie de retenir les gens qui passent, mais qui poursuivent leur chemin en ne prêtant guère attention. Il est parfois difficile de s’adresser de la sorte au public qui cherche lui-même à se fixer sans jamais être sur de son choix. En dehors du grand hall des exposants, il y a des dizaines d’ateliers, de séminaires, les uns considérés comme majeurs, les autres – sans doute mineurs - installés dans des salles annexes du Palais des congrès.

FME 2012. Parc Chanot, une journée à 10h30 (Photo T.Ruf)

Certes, le forum de l’eau est avant tout une foire, par son côté « salon des techniques de l’eau », mais aussi par son animation variée. Pourtant, il est très difficile de se faire une idée précise des programmes et de structurer un itinéraire entre les séminaires. Trop de solutions tue les solutions ? Ne faudrait-il pas avoir des thématiques regroupées selon les jours ? En tous cas, la programmation ésotérique et la présentation des ateliers ne rend pas la vie facile au visiteur qui doit quand même acquitter une somme non négligeable pour entendre les voix de l’eau (700 euros pour la semaine, plus de 200 euros pour une journée).

Évidemment, sur le fond, personne ne peut se faire une idée précise de tous les évènements principaux ou secondaires. Ce qui suit est donc subjectif et devrait être confronté à des témoignages fondés sur d’autres itinéraires. Mais il ressort de cette journée studieuse une ambiance bizarre. Les idées entendues sont des idées mille fois déjà énoncées. La langue de bois reste bien présente dans ce domaine de l’eau et surtout la répétition des mêmes arguments. L’eau est rare, le changement climatique aggrave la situation (vrai pour les températures, encore incertain pour les cycles de l’eau), le gaspillage, l’économie, la tarification. Que de discours brefs et convenus ! Dans un atelier sur la Méditerranée, un jordanien est venu secouer la torpeur : il faut en finir avec les pratiques du monde arabe de dire que tout va bien, qu’on suit les bonnes voies. Rien de tout cela est vrai, dit-il, et on ne progressera pas tant qu’on ne dira pas comment les choses fonctionnent.

Instant de sincérité remarquable qu’on ne voit pas forcément poindre dans les pays de la rive Nord. Mais au fond, c’est parfois identique chez nous. Après 20 ans de forums mondiaux, on estime toujours être sur la bonne voie de la gestion intégrée de l’eau, la « GIRE ».

Une session parmi d'autres au Forum Mondial de l'Eau, le 13 mars 2012 . (Photo T.Ruf)

Quid des dimensions sociales, des inégalités, des questions territoriales, des cultures locales de l’eau. Tiens, une chose aussi frappe le visiteur. Trois ou quatre jours seulement après la journée de la femme, on voit des ateliers où s’expriment de façon ultra majoritaire des hommes responsables de l’eau. Il y a quelques exceptions qui confirment la règle. Malgré toute l’attention portée sur le sort des femmes dans le rapport des sociétés humaines à l’eau, la parole sur l’eau reste un discours technique et masculin.

Mercredi 14 mars 2012. AIGO, une journée exceptionnelle sur l’eau et l’agriculture en Provence et en Méditerranée

Loin du Parc Chanot où se tient le Forum mondial de l’eau, dans une enceinte où l’accès reste fort limité à cause de son coût, à l’extérieur, près d’Aix-en Provence, se tenait Mercredi 14 mars un événement exceptionnel (et d’accès gratuit). Pourquoi ? Parce que le thème de cette rencontre – « des hommes, des territoires, une eau à partager, la gouvernance des réseaux d’irrigation en Méditerranée », faisait la part belle aux dimensions humaines et sociales plutôt qu’aux solutions techniques. Et de fait, la participation à cette rencontre a dépassé les prévisions avec plus de 500 participants venant des forums de Marseille et d’autres horizons.

Exceptionnel aussi parce que AIGO (l’eau en provençal) était organisé par les deux camps rivaux de la gestion de l’irrigation en Provence, la Société du Canal de Provence (SCP) et les associations syndicales d’irrigants paysans qui organisent les partages et les usages de l’eau de la région. Grosso modo, les associations s’occupent de réseaux d’irrigation anciens ou très anciens dans les Alpes et la Basse Durance (Carpentras, Avignon, la Crau), tandis que la Société du Canal de Provence agit depuis 1960 en investisseur public sur les zones nouvellement gagnées à l’irrigation aux moyens de transferts d’eau interbassins et de technologie moderne, selon un modèle plus marchand. Pour les premiers, les irrigants sont des membres adhérents partageant un territoire bien délimité et une ressource en eau collective, pour les seconds, les irrigants sont des clients bénéficiant d’accès à l’eau sous pression à la demande.

C’était probablement la première fois qu’un tel rendez-vous était proposé,. Les organisateurs ont eu la bonne idée de convier à des comparaisons avec la vallée du Jourdain et le Haouz de Marrakech. La gouvernance consiste à concilier des intérêts contradictoires et en matière d’eau, cela revêt des dimensions sociales et politiques. Comme le signalait un participant marocain, l’accès à l’eau est une confrontation de pouvoirs. En Provence, comme au Maroc et en Jordanie, le débat était pluriel, comparatif et mêlant les interventions de cadres de l’Etat, de paysans présidents de communautés d’irrigants des trois pays, et de chercheurs et d’universitaires.

L’idée de cette manifestation était de dépasser les clivages anciens sans gommer les différences d’appréciations et la complexité des rapports entre agences gouvernementales ou régionales de l’aménagement et de la gestion globale des eaux avec les associations locales organisatrices de la répartition et de l’utilisation des eaux sur le terrain.

Ces témoignages concrets furent riches, animés, commentés dans la salle et par des interventions de chercheurs, Bernard Barraqué pour le cadrage historique des politiques publiques d’aménagement et notamment l’influence des modèles nord-américains sur les solutions adoptées au XXe siècle et Thierry Ruf pour tirer les enseignements de ces confrontations et montrer qu’un rapprochement entre gestion régionale et gestion locale de l’eau est possible, dès lors que les fonctions des uns et des autres sont reconnues.

La démarche était donc bien originale, à tel point que le président de la région PACA, décidément sur tous les grands moments, concluait en appelant les acteurs organisateurs à renforcer leurs liens. Il est vrai qu’il parlait aussi comme Président du Conseil d’administration de la société du Canal de Provence.

Pour compléter cet exercice participatif qui ressemblait quelque peu à une université d’été où presque tous les acteurs de l’eau étaient présents, publics, privés et communautaires, les organisateurs proposaient l’après-midi de juger sur place et les participants purent visiter différents canaux gérés par des associations ou par la SCP.

Visite du canal de Manosque avec des participants d'Aigo, le 14 mars 2012. (Photo T.Ruf)

Quand le forum de l’eau valide ce type de démarche, on peut dire chapeau et remercier particulièrement les animateurs, Noël Piton de la Chambre Régionale d’Agriculture de PACA et François Prevost, de la Société du Canal de Provence, aujourd’hui délégataire des réseaux appartenant non plus à l’Etat français mais à la région PACA.

Alors, en termes de solutions, décentralisation et implication des organisations sociales locales semblent prometteur, sous condition de respecter les lois sur l’eau et l’environnement, comme le soulignait le Directeur de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse.

L’eau, c’est pas seulement une question conflictuelle, c’est une recherche de compromis et un besoin d’arbitrage. Des politiques globales de l’eau et des pratiques locales démocratiques sont des clés de viabilité. De fait, il faut s’inspirer des altermondialistes qui affichent volontiers l’idée de « penser globalement, agir localement ». Il faut aussi renverser la proposition : « penser localement, agir globalement ». Les participants d’Aigo y contribuent.

Voir le site : http://www.aigo-fme2012.fr/

Vendredi 16 mars 2012
Les forums mondiaux de Marseille : de l’illusion numérique du Forum officiel à la maturité du Forum Alternatif.

Samedi 17 Mars, jour de clôture des forums officiel et alternatif de l’eau à Marseille.

Ces deux derniers jours, un grand nombre d’inscrits au Forum Mondial de l’Eau ont déserté les halls et places du Parc Chanot, siège du forum officiel, pour se rendre aux Docks du Sud où, dans un espace plus confiné mais aussi plus animé, se tenaient les sessions du forum alternatif. Il faut dire que l’inverse ne pouvait pas se produire, étant donné les conditions tarifaires exorbitantes pour entrer au parc Chanot.

Aujourd’hui, le Forum officiel fort de son pouvoir économique et de sa puissance de communication se transforme en magicien des chiffres : dans la presse régionale, on peut lire que 20000 personnes ont suivi le forum consacré aux temps des solutions et que 1300 solutions ont été élaborées et que jamais aucun forum n’a été aussi loin. Le succès serait énorme. Franchement, cette communication ressemble à ce qui se faisait il n’y a pas longtemps encore dans des pays de l’Est. 20000 personnes ? Tous ceux qui ont fréquenté le Parc Chanot ont souligné combien il leur paraissait que le forum n’avait pas drainé autant de monde. Peut-être doit-on comprendre 20000 entrées cumulées sur 5 jours, ce qui signifie que l’on compte plusieurs fois les gens inscrits sur plusieurs jours. Côté repas, on a servi environ 3000 déjeuner par jour. Certes, du côté des sessions, au Palais des congrès ou au palais de l’Europe, il y avait du monde dans certaines salles, ce qui est logique, puisque c’était là que l’on pouvait valoriser l’investissement démesuré que représentait une journée d’entrée au Parc Chanot. Mais combien de personnes sont ressorties déçues avec la sensation désagréable d’entendre à nouveau des discours convenus de cadres d’entreprises et de hauts fonctionnaires d’organisations internationales et gouvernementales ? Dans nombre d’ateliers, on a pu entendre que l’on disposait des technologies, des systèmes, du savoir-faire mais que tout cela supposait pour être appliqué d’avoir des moyens financiers et surtout d’intégrer une approche sociale pour faire passer les nouveaux outils techniques et économiques. Tant que la question sociale sera abordée sous cet angle, cela ne vaut pas la peine de dépenser autant d’argent pour des messages déjà trop entendus dans le passé.

Du côté des docks du Sud, la problématique était toute autre. Il ne s’agissait plus de contester frontalement le discours néolibéral de l’eau d’en face, mais de montrer comment les mouvements sociaux réfléchissent à la reconstruction de services publics de l’eau, aux cadres géographiques et politiques concrets de la notion de bien commun, à la mise en place de structures d’arbitrage et même à l’introduction de tribunal de l’eau pour aider les citoyens à lutter contre les destructeurs des ressources en eau, préleveurs accapareurs des ressources ou pollueurs fuyant leurs responsabilités et échappant à toute poursuite. Comme le dit Pedro Arrojo, la question de l’eau devient dans le monde entier une pédagogie essentielle à la démocratie, d’abord au plan local, ensuite à d’autres échelles. Associés à d’autres évènements à Marseille et à Aubagne, le forum alternatif a ignoré le forum officiel et drainé plus de 3000 personnes.

Débat final sur le Tribunal International de l'Eau au Forum alternatif, le 16 mars 2012 (Photo T.Ruf)

Même si le Conseil Mondial de l’Eau pense se rénover en intégrant trois jeunes de moins de 35 ans dans son conseil d’administration, cela ne changera pas grand chose. Le FME est obsolète et le Forum alternatif aurait intérêt à se dérouler de façon totalement autonome, avec un soutien public et international plus conséquent.

Mars 2012
Thierry RUF
Géographe et Directeur de recherche à l’IRD (Institut de recherche pour le développement)



 
 
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