Les organisations internationales soussignées, exprimons notre profonde inquiétude au regard des nouveaux actes de répression et de violence contre des communautés paysannes du Bas Aguán (Nord-est du Honduras).
Selon des informations vérifiées par les organisations locales et nationales de défense des droits humains, le 21 mai dernier, au petit matin, un contingent de 315 membres de l’armée et de la police ainsi que 40 agents de sécurité privée ont participé à l’expulsion violente des exploitations rurales Trinidad et El Despertar utilisant pour cela des bombes lacrymogènes, du spray au poivre et tirant en l’air al aire pour intimider et chasser les familles qui habitaient dans les lieux. Dans les deux cas, les autorités ont refusé de présenter les ordres d’expulsion, y compris, dans le cas de la Trinidad, l’expulsion a été réalisée sans aucune sommation préalable.
À El Despertar les actions violentes ont causé 2 blessés, qui restent hospitalisés et 14 personnes ont été détenues parmi lesquelles 5 mineurs qui ont été libérés postérieurement, pendant que les 9 personnes restantes, parmi elles 4 femmes – dont une enceinte –, sont restées en détention pendant plusieurs jours [1]. Il faut souligner que parmi les détenus se trouvent également Jaime Adaly Cabrera Del Cid, président de la Plate-forme régionale agraire, et Walter Ernesto Cárcamo Lezama, président du Mouvement authentique revendicateur des paysans de l‘Aguán (MARCA pour son sigle en espagnol), tous deux jouissent de mesures de protection octroyées par la Commission Inter-américaine des Droits de l’Homme le 8 mai 2014. Après leur libération, les tribunaux ont prononcé à leur encontre des mesures substitutives de peine, dans une claire intention de criminalisation ; mesure qui entrave spécialement les deux dirigeants paysans, dans leur tâche de défendre la terre.
Une fois les expulsions réalisées, les forces de sécurité de l’État ont installé un barrage militaire et policier autour des exploitations, empêchant les paysans de récupérer leurs équipements et leurs affaires personnelles. Ce n’est qu’à la suite de l’intervention d’organismes de défense des droits humains nationaux et internationaux que le contingent a autorisé les familles paysannes à retirer leurs effets personnels.
Au cours des dernières années, nous avons suivi constamment la situation des droits humains dans la vallée du Bas Aguán, inter alia, à travers une mission de vérification internationale de la situation des droits humains en mars 2011 [2], une audience thématique devant la Commission Inter-américaine des Droits de l’Homme à Washington, en octobre 2011, une audience publique internationale sur la situation des droits humains à Tocoa, Colón, le 28 mai 2012 [3], et diverses démarches de soutien aux travaux réalisés par le Compliance Advisor Ombusman de la Corporation Financière Internationale de la Banque Mondiale a propos du cas du Bas Aguán, en 2013 et 2014 [4]. Nous sommes plusieurs, entre les organisations signataires, à avoir assuré un suivi depuis plus de dix ans, de la situation des droits humains et du conflit agraire dans le Bas Aguán.
Dans le cas des trois exploitations San Isidro, La Trinidad et El Despertar, des jugements fermes ont dicté en 2012 la restitution de ces terres aux membres du MARCA, sentence qui a pris effet en juin 2012, au terme d’une procédure de 18 ans. Les verdicts ont confirmé que les trois propriétés n’avaient pas été acquises légalement par les entrepreneurs Miguel Facussé et René Morales et que les communautés paysannes respectives organisées au sein du MARCA avaient été expulsées illégalement en 1994 [5].
Il convient également de rappeler que l’avocat des paysans, Antonio Trejo Cabrera, qui avait œuvré avec succès pour obtenir ce verdict, a été assassiné le 22 septembre 2012. La Commission Inter-américaine des Droits de l’Homme [6], la Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies [7], trois rapporteurs spéciaux des Nations Unies [8], l’Union Européenne [9], ainsi que d’autres institutions ont condamné l’assassinat d’Antonio Trejo Cabrera, et pris acte du fait qu’en tant que représentant légal du MARCA et défenseur des Droits de l’Homme, il avait reçu des menaces de mort ; menaces qu’il avait dénoncées aux autorités. En 2012, dans sa correspondance écrite et ses échanges de vive voix avec des organisations internationales de défense des Droits de l’Homme, Antonio Trejo indiquait que selon les informations dont il disposait, les menaces de mort avaient un lien direct avec son travail en faveur des communautés paysannes du Bas Aguán.
Le dénominateur commun entre les expulsions violentes du 21 mai 2014 et les faits documentés concernant la situation des droits humains des communautés paysannes du Bas Aguán est toujours le même : au lieu de rechercher une solution durable et juste à la problématique de la tenure de la terre qui soit en cohérence avec le droit à l’alimentation et les autres droits humains, on tente de stopper la lutte paysanne par la violence et la répression. Et en l’absence d’enquêtes, les crimes restent impunis [10].
Nous espérons que le retrait, annoncé par la Corporation Dinant le 22 mai dernier [11], des armes à feu aux gardes de sécurité dans le Bas Aguán, contribue à réduire la violence dans la région. Par cette mesure, l’entreprise répond à la pression internationale et admet implicitement l’implication de ses gardes dans des actes de violence antérieurs. Dans le même temps, il nous paraît étrange que Dinant annonce également être en train de construire des habitations destinées à loger les militaires de l’opération Xatruch dans la propriété de Paso Aguán ; cela en pleine confusion de rôles entre entités de l’État et intérêts corporatifs.
À propos des événements du 21 mai, les organisations signataires, demandons le retrait des mesures substitutives dictées contre les paysannes et paysans qui ont été arrêtés ; une enquête exhaustive sur les faits et les procès contre les responsables ; et la garantie d’une justice impartiale en ce qui concerne la restitution des terres aux membres du Movimiento Auténtico Reivindicativo Campesino del Aguán (MARCA) des trois propriétés San Isidro, La Trinidad et El Despertar.
À propos de la situation générale dans le Bas Aguán, nous continuons d’insister sur ce que nous avions manifesté, il y a deux ans, lors de l’Audience publique internationale sur la situation des droits humains des communautés paysannes dans le Bas Aguán, qui s’est déroulée le 28 mai 2012, à Tocoa :
À l’État hondurien :
Enquêter avec sérieux et sanctionner avec diligence tous les crimes et autres atteintes graves aux droits humains commises dans le Bas Aguán, y compris la condamnation des auteurs matériels et intellectuels des faits.
Cesser immédiatement la répression, le harcèlement et la violence contre les membres des communautés paysannes.
Adopter des mesures effectives qui apportent protection aux personnes en danger.
Ne plus réaliser d’expulsions par la force.
Rechercher une solution intégrale, juste, pacifique et durable aux demandes paysannes, à travers le respect des dispositions légales et les accords politiques passés avec les organisation paysannes.
Réguler comme il se doit le fonctionnement des entreprises de sécurité privée afin de garantir le plein respect des droits humains.
À la communauté internationale :
Faire en sorte que la coopération internationale bilatérale et multilatérale apportée à l’État hondurien et aux entreprises privées ne contribue pas à porter atteinte aux droits humains et que leur respect strict constitue une condition pour mener cette coopération.
Revoir les accords de coopération financière de la coopération internationale et des banques multilatérales avec les forces de sécurité publique et les entreprises privées, signalées pour leur implication présumée dans des actes de violence, de harcèlement et d’atteintes aux droits humains dans la région.
Promouvoir, dans le cadre de la coopération, en particulier celles de l’Union Européenne et des États-Unis, un concept de sécurité fondé sur la promotion de la justice et le plein respect des droits humains.
Suspendre la coopération internationale qui encourage la militarisation et aggrave la situation des droits humains, en particulier pour ce qui est de l’aide militaire des États-Unis.
Ces demandes sont toujours d’actualité. Nous, organisations internationales, continuerons à suivre avec une grande attention la situation du Bas Aguán, eu égard au fait que ce conflit agraire est le plus grave, en ce qui concerne de niveau de violence contre des communautés paysannes, observé en Amérique centrale au cours des 15 dernières années.