Pétition à l’attention du Parlement Européen
Préserver et gérer les terres agricoles européennes comme notre richesse commune. Les organisations de la société civile appellent à une gouvernance européenne durable et équitable des terres agricoles
Nous, citoyens, organisations paysannes, organisations de développement rural, mouvements civiques en faveur d’une agriculture locale et durable, organisations environnementales et organisations des droits de l’Homme, nous demandons au Parlement européen de se positionner pour une gouvernance durable et équitable des terres agricoles de l’UE. Nous demandons en parallèle à la Commission européenne d’adapter les règlementations et politiques existantes ainsi que de développer des futures règlementations de sorte qu’elles contribuent à la préservation et à la gestion des terres agricoles comme notre richesse commune.
Dans un contexte mondial de tensions croissantes autour des terres agricoles, les citoyens européens, les organisations de la société civile et les représentants politiques doivent être conscients que l’Europe est, elle aussi, directement affectée et en tirer les conséquences. Des études récentes ont démontré que le problème concernant la gouvernance des terres en Europe est réel et très urgent. Les pressions actuellement exercées sur l’utilisation et la gestion des terres impactent directement nos conditions de travail et de vie, notre qualité de vie et la solidarité entre les citoyens européens et avec le reste du monde, ainsi qu’avec les générations futures. Elles se traduisent en effet par : la dégradation environnementale des sols, de la biodiversité, de l’eau et de l’air ; une moindre capacité à atténuer le changement climatique ; un accès inadéquat à une alimentation saine et de qualité ; un impact négatif sur la souveraineté alimentaire des populations en Europe et dans les pays du Sud ; et la suppression d’emplois agricoles et d’activités rurales, alors que ceux-ci pourraient fournir un mode de vie et un métier attractifs à de nombreux résidents de l’UE.
La portée, la profondeur et le rythme de la vague actuelle de tensions sur les terres agricoles justifient une grande préoccupation quant à la réalisation actuelle et future des droits de l’Homme dans le monde. Les États européens ont l’obligation de respecter, protéger et réaliser les droits de l’Homme, et plus particulièrement le droit à l’alimentation des populations vivant en Europe et dans le monde. Une gouvernance européenne juste et équitable des terres agricoles est partie intégrante des obligations des États européens en termes de droits de l’Homme et un moyen de garantir la souveraineté alimentaire et le droit à une alimentation et une nutrition adaptées.
1/ Les terres agricoles constituent la base de la production alimentaire, d’écosystèmes durables et de régions rurales vivantes.
Les terres agricoles constituent une ressource complexe. Elles sont tout à la fois : un bien pour des propriétaires privés ou publics ; un terrain destiné à une panoplie d’activités humaines (nourriture, loisir) ; et, tout comme l’eau et l’air, une ressource essentielle et nécessaire à tous en tant que source de nourriture, d’eau et d’écosystèmes riches et équilibrés. Composante majeure du territoire européen, les terres agricoles influencent également de manière décisive les paysages et la qualité de vie. En tant que base physique des activités des agriculteurs, elle constitue une base essentielle pour la création d’emplois et d’activités locales et des régions rurales vivantes.
2/ Des pressions considérables sur les terres agricoles européennes.
Il existe quatre types de pression visant actuellement les terres agricoles européennes :
- La destruction des terres agricoles : nous avons oublié que les terres agricoles constituent des ressources non-renouvelables. Pourtant, celles-ci sont détruites de manière irréfléchie et très rapide afin de développer les villes et les infrastructures. Une majeure partie de ces développements se fait à proximité des régions urbaines qui abritent généralement les terres les plus fertiles. A l’image de ce qui a été fait avec les zones naturelles, nous devons commencer à considérer les terres agricoles de l’UE comme une ressource précieuse et non-renouvelable à préserver et à protéger.
- La destruction des écosystèmes agricoles : les pratiques agricoles majoritaires conduisent à la destruction de la biodiversité, à la pollution de l’eau et de l’air, à l’homogénéisation des paysages et à l’épuisement de ce qui les sous-tend, à savoir la fertilité des sols. Les études existantes sont particulièrement inquiétantes et mettent l’accent sur le besoin d’une réorientation radicale des modèles agricoles vers l’agroécologie.
- La concentration des terres : depuis des décennies, la Politique agricole commune (PAC) et les politiques agricoles nationales ont avant tout encouragé la modernisation de l’agriculture européenne, sous forme de spécialisation, mécanisation, intensification et concentration des terres. Après la seconde guerre mondiale, une transformation majeure était certes nécessaire afin d’accroître la production alimentaire. Mais les dommages environnementaux collatéraux ainsi que les impacts économiques et sociaux, en termes de perte d’emplois et de destruction du tissu social et économique dans les régions rurales, sont à présent de plus en plus reconnus. Les fermes de grande et très grande taille sont le plus souvent associées à des emplois en nombre limité ; l’homogénéité de la production ; des longues chaînes d’approvisionnement et la déconnexion avec les consommateurs, fournisseurs et populations locales; et l’absence de transformation ou d’autres types d’activités à la ferme. Les politiques agricoles se concentrent en général essentiellement sur les fermes de grande taille, ce qui signifie que les fermes de taille petite et moyenne - dont la plupart sont durables d’un point de vue économique et environnemental - souffrent d’un manque de soutien (p. ex. accès à des crédits, subventions, etc.). Dans le contexte actuel où la plupart des marchés fonciers ne sont pas règlementés, ces dernières risquent en outre de se faire évincer de leur accès à la terre par les grandes fermes. Enfin, il est plus difficile pour des nouveaux agriculteurs de reprendre des fermes de grande et très grande taille.
- Obstacle au renouvellement générationnel et aux nouveaux installés: la plupart des agriculteurs de l’UE ayant dépassé les 55 ans, un transfert massif de terres et de fermes aura lieu durant la prochaine décennie. Le fonctionnement actuel du marché foncier ainsi que les orientations générales des politiques agricoles n’encouragent pas la transmission des fermes et l’établissement de nouveaux agriculteurs de manière adéquate. Les obstacles fréquemment rencontrés sont le manque de soutien technique et humain à destination des cédants et des futurs agriculteurs, le poids des coûts d’investissement nécessaire à l’installation, le manque de sécurité foncière, etc. Les petits paysans, les paysans biologiques et les paysans engagés dans des activités agricoles "atypiques" (vente directe, haute valeur ajoutée, nouveaux installés non issus d’une famille agricole) sont, encore plus que les autres, confrontés à des difficultés et à un manque de soutien. Pourtant ce renouvellement générationnel pourrait être une opportunité unique pour réorienter radicalement l’agriculture européenne vers des formes d’agriculture durables d’un point de vue social et économique et écologiques.
Pour assurer la primauté des usagers, au premier rang desquels les fermiers, et des besoins sociaux de long terme en matière d’utilisation et de gestion des terres agricoles, celles-ci doivent être traitées en tant que question politique, aux niveaux régional, national et européen. Les responsables politiques doivent s’assurer de la bonne utilisation des terres de manière à répondre sur le long terme aux besoins sociaux, en termes de préservation de l’usage agricole des terres, de qualité de la production alimentaire locale, de conservation des ressources naturelles et de la biodiversité, de création d’emplois, de renouvellement générationnel d’agriculteurs, d’équilibre entre zones urbaines, rurales, et enfin de préservation des paysages.
3/ Impactées mais ignorées... : les terres agricoles européennes au sein des politiques de l’UE.
La plupart des règlements et des politiques réglementant les terres agricoles (aménagement du territoire, droit fiscal, réglementations environnementales, etc.) relèvent de la compétence des États nationaux et des collectivités locales. Pourtant les terres agricoles sont directement ou indirectement affectées par un certain nombre de règlements et politiques de l’UE, notamment dans les domaines suivants :
- Environnement : directive sur les énergies renouvelables (2009/28/CE), directive sur les nitrates (91/676/CEE), directive sur une politique communautaire dans le domaine de l’eau (2000/60/CE), etc.
- Politique régionale, mobilité et transport: développement de grandes infrastructures de transports ou autres, cohésion sociale et territoriale,
- Politique agricole commune : orientations agricoles globales, usage des terres et son évolution, prix des terres, jeunes agriculteurs, haute valeur naturelle, etc.
Alors que nous avons célébré l’année internationale de l’agriculture familiale et devons veiller à sa continuation, et alors que nous entrons dans l’année internationale des sols, il est également important de souligner l’importance de la contribution et du potentiel de l’agriculture paysanne et familiale de petite et moyenne taille. La réorientation des politiques et des règlementations de l’UE en faveur d’un accès durable et équitable aux terres et à l’agriculture pourrait contribuer de manière essentielle à la stratégie Europe 2020. Cela pourrait très directement créer des emplois et des activités, contribuer à l’adaptation et l’atténuation du changement climatique ainsi qu’à la soutenabilité énergétique, et participer à la réduction de la pauvreté ainsi qu’à l’inclusion sociale.
4/ Nos demandes au Parlement Européen:
Pour s’assurer que les terres agricoles ne restent pas dans l’angle mort des politiques et réglementations européennes,
En application d’une approche fondée sur les droits de l’Homme, et
Sur la base du cadre législatif actuel, du nécessaire contrôle permanent de sa mise en œuvre et du besoin de satisfaire aux meilleures normes internationales,
Nous demandons au Parlement européen de :
- Proposer à la Commission d’étudier et d’analyser conjointement la situation des terres (utilisation, concentration et prix des terres, régimes de mise à bail, fertilité des sols, aménagement du territoire, etc.) grâce au développement d’un appareil statistique et d’un observatoire.
- Examiner l’impact des politiques européennes sur la répartition et l’utilisation des terres, et évaluer le statut actuel de la gouvernance des terres dans l’UE à la lumière des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts approuvées en 2012 . Promouvoir la mise en œuvre des Directives au niveau international, y compris en Europe et reconnaître que leur mise en œuvre adéquate en Europe contribuerait à faire reconnaître l’importance de le faire aussi dans les autres pays. Collaborer avec des États membres ainsi que des organisations paysannes et d’autres organisations de société civile pour effectuer cette évaluation afin d’arriver à une identification concrète des mesures qui pourraient améliorer la gouvernance des régimes fonciers dans l’UE.
- Évaluer l’impact de la PAC et des mesures nationales de mise en œuvre sur l’agriculture familiale et de petite taille depuis le début des années 1990.
En outre, afin d’assurer, comme il se doit, une solide mise en œuvre de la nouvelle PAC, au service de l’intérêt général des Européens pour les années à venir, nous demandons au Parlement européen de :
- Collaborer avec la Commission à l’évaluation des possibilités de proroger les restrictions sur l’achat ou la location de terres agricoles par des étrangers, existant dans certains États membres de l’UE des 12 afin de permettre à ces pays de mettre en place des règlementations adaptées sur les acquisitions de terres à grande échelle.
- Promouvoir effectivement l’agriculture familiale et de petite et moyenne taille en tant que pierre angulaire de l’agriculture de l’UE . Envoyer un message percutant à la Commission et aux États membres pour qu’ils utilisent toutes les ressources de la nouvelle PAC afin de soutenir les exploitations agricoles familiales et de petite taille. Sensibiliser le public aux bénéfices et aux valeurs de l’agriculture familiale et de petite taille.
- Exhorter la Commission et les États membres à utiliser toutes les possibilités existantes dans la nouvelle PAC, ainsi que dans les autres politiques de l’UE (p. ex. emploi, cohésion, éducation et formation) pour promouvoir le renouvellement générationnel et soutenir les futurs agriculteurs. En faire une priorité pour la prochaine réforme de la PAC.
- Appeler la Commission et les États membres à utiliser toutes les possibilités existantes dans la nouvelle PAC, ainsi que dans les autres politiques de l’UE (p. ex. environnement) afin de promouvoir les pratiques agricoles écologiques, telles que l’agriculture biologique ou l’élevage extensif. En faire une priorité pour la prochaine réforme de la PAC.
Pour conclure, en vue des développements nécessaires afin d’améliorer la PAC pour les années à venir, nous proposons la mise en œuvre des changements politiques indispensables, et notamment l’élaboration des textes législatifs suivants, afin d’assurer le droit à l’alimentation et à un régime foncier équitable et durable :
- Soutenir l’adoption d’une Communication et d’une Stratégie ambitieuses sur « les terres comme ressources », qui prenne adéquatement en compte la nécessité de permettre l’accès à la terre pour une agriculture durable.
- Formuler une Directive sur un accès équitable et durable aux terres agricoles.
SIGNATURES
Initiateurs:
— Confédération européenne Via Campesina
— Terre de liens
— AIAB
— Regionalwert AG
Autres signataires:
— ActionAid international
— aGter, international
— ARC2020, international
— CEEweb for Biodiversity, international
— Demeter international, international
— Friends of the Earth Europe
— Groupe de Bruges, Europe
— Slow Food international
— Transnational institute, international
— Urgenci, international
— Amis de la Terre, France
— Asociacion para la custodia del territorio y el desarrollo sostenible (ACUDE), Spain
— Bio Consom’acteurs, France
— Biodynamic Land Trust, UK
— Bioforum, Belgium
— Bündnis junge Landwirtschaft (BjL), Germany
— Centro Internazionale Crocevia, Italy
— Col.lectiu l’Esquella, Spain
— Centro de Estudios Rurales y de Agricultura Internacional (CERAI), Spain
— Coordinadora de Organizaciones de Agricultores y Ganaderos (COAG), Spain
— Coordination GASAP/ SEGAL, Belgium
— De Landgenoten, Belgium
— Die Agronauten, Germany
— EcoRuralis, Romania
— EHNE-Bizkaia, Spain
— Escola de Pastors de Catalunya, Spain
— Federación de Comités de Solidaridad con el África Negra UMOYA, Spain
— Fédération des Associations pour le développement de l’emploi agricole et rural (FADEAR), France
— Fédération des Parcs naturels régionaux (FN PNR), France
— Fédération Nationale des Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu Rural (FN CIVAM), France
— Federazione nazionale Pro Natura, Italy
— FIAN Austria
— FIAN Belgium
— FIAN France
— FIAN Germany
— FIAN Netherlands
— FIAN Sweden
— Graëllsia, Grup d’Estudis i Comunicació Ambiental, Catalonia, Spain
— Grup de defensa del Ter, Spain
— Junge Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschaft (jAbL), Germany
— La Nef, France
— Legambiente, Italy
— Llavors Orientals, Catalonia, Spain
— Mouvement d’action paysanne (MAP), Belgium
— Mouvement interrégional des AMAP (MIRAMAP), France
— Nature et Progrès, France
— Nourish Scotland, UK
— Real Farming Trust, UK
— Scottish Crofting Federation, UK
— Sindicato de Obreros del Campo, Spain
— Sindicato Labrego Galego, Spain
— Sociedad Española de Ornitología- SEO Birdlife, Spain
— Soil Association, UK
— SolaWi (German CSA network), Germany
— Terra franca, Spain
— Terre-en-vue, Belgium
— TerreNuove, Italy
— Xarxa de custodia del territori, Spain
Soutenez cette pétition, Envoyer votre signature à:
Veronique Rioufol, Terre de liens: v.rioufol@terredeliens.org
et Marta Di Pierro, AIAB: marta.dipierro@gmail.com