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puce Résultats d’un atelier avec ENDA Pronat et UACDDDD consacré à des démarches citoyennes d’appui à l’affirmation et à la sécurisation des droits fonciers des femmes au Sénégal et au Mali

Des membres d’ENDA Pronat, de l’UACDDDD et d’AGTER se sont réuni•e•s à Dakar du 7 au 9 février 2024 pour analyser des démarches communautaires pour améliorer l’accès des femmes à la terre et leur place dans la gouvernance foncière au Sénégal et au Mali.


ENDA Pronat et l’UACDDDD se sont associées à AGTER pour analyser et faire mieux connaître des démarches qu’elles mènent respectivement au Sénégal et au Mali afin d’améliorer l’accès des femmes à la terre et promouvoir leur implication dans la gouvernance foncière.

Des équipes d’ENDA Pronat et de l’UACDDDD ont réalisé en 2023 des enquêtes auprès de panels diversifiés de membres de communautés villageoises du Mandé (proximité Ouest de Bamako), des Niayes (au Nord de Dakar) et de la vallée du fleuve Sénégal où ces organisations œuvrent depuis plusieurs années.

Si les partenaires échangeaient régulièrement à distance depuis l’élaboration de leur grille d’analyse commune, ils n’avaient pas encore eu l’occasion de se présenter mutuellement leurs résultats et en débattre en présence des uns des autres.

L’équipe d’Enda Pronat, notamment Alpha Ba, Thérèse Mbaye, Maimouna Ndour, Adama Sow et Ardo Sow, a accueilli à Dakar du 7 au 9 février, une délégation de l’UACDDDD formée par Chantal Jacovetti Diallo, Aïchata Koné et Safiatou Senou, ainsi que Coline Sauzion d’AGTER et Chantal Ndami, enseignante chercheuse à l’IHED (Genève) qui a bien voulu apporter son expérience à cette étude depuis son démarrage.

La rencontre a permis d’échanger en profondeur pour affiner la compréhension des actions menées et de leurs effets, en dégager les spécificités et les points communs, et traiter des livrables en cours de finalisation (en particulier : le rapport de synthèse de l’ensemble des actions examinées et les supports d’information destinés à assurer une plus large diffusion de leur connaissance, dont des vidéos).

Les échanges ont confirmé le trait commun majeur des initiatives que les partenaires ont choisi d’analyser : leur dimension plus large que celles d’actions exclusivement consacrées à l’amélioration de la condition « foncière » des femmes. Elles s’adressent aux communautés dans leur ensemble, en parlant aux hommes comme aux femmes et en replaçant la préoccupation pour la condition des femmes dans un projet social d’agriculture agro-écologique porteur d’améliorations des conditions de vie de toute la communauté pour le temps long et pour lequel les femmes sont d’une importance majeure.

L’ancrage initial des opérateurs de ces démarches diffère : un réseau de membres de communautés rurales et périurbaines victimes d’accaparements de terres ayant coordonné leurs actions de résistance et de construction d’alternatives depuis une dizaine d’année au Mali pour l’UACDDDD ; des intervenant•e•s en faveur de l’agro-écologie au départ davantage extérieurs aux communautés concernées mais active•if•s auprès d’elles depuis plusieurs décennies et maintenant reconnu•e•s comme des appuis pour ENDA Pronat. Mais l’appropriation des objectifs de transformation par des membres mêmes des communautés, et leur investissement durable pour les atteindre par la discussion avec tou•te•s leurs autres membres, y sont dans les deux cas très forts. Ces configurations sont le fruit d’un vaste travail de construction de liens et d’échanges, en assemblées villageoises ou avec des membres de catégories sociales distinctes : contacts individuels, animations de sessions de sensibilisation, organisation de débats et de séances de formations...

Les démarches conduites par les équipes (mixtes) des deux organisations et leurs relais au sein des communautés (parfois eux-mêmes instigateurs d’action) procèdent d’une remise en cause implicite des dominations propres aux schémas patriarcaux et « gérontocratiques ». Une remise en cause qui n’entend pas rompre avec la dimension communautaire de l’organisation sociale (et notamment les mécanismes traditionnels de dialogues et résolution de conflits). ENDA Pronat comme l’UACDDDD voient dans celle-ci une composante majeure de l’identité culturelle et une solidarité propice à leur protection, entre autres face à la marchandisation et à l’appropriation des terres par des agents économiques plus puissants, et pour faire avancer la cause des femmes.

Leurs activités visent ainsi à renforcer la maîtrise collective du foncier et du projet agro-éco-économique dans leur terroir. Elles consistent notamment à soutenir les demandes groupées d’accès sécurisé à la terre (comme les champs collectifs féminins) et aux ressources naturelles. Elles cherchent à faire évoluer certaines règles locales, parfois au travers d’accords locaux formalisés (Chartes de gouvernance foncières au Sénégal, Conventions locales de gestion foncière au Mali), par exemple pour prévenir les « ventes » de terres par des individus à l’insu de leur famille (par l’obligation d’information), introduire la reconnaissance des femmes dans la gouvernance foncière tant familiale que collective, garantir la préservation et la protection des ressources naturelles. Elles visent à renforcer les capacités agro-écologiques de production et valorisation par des formations réflexives et pratiques, des appuis à l’acquisition d’équipements (ex. : grillage, outils de transformation…).

Bon nombre des formes de marginalisation des femmes dans l’accès au foncier et l’exercice du pouvoir de décision sur les terres sont identifiées par les organisations agissantes. La connaissance fine des conditions sociales et économiques des communautés, ainsi que des personnes en leur sein, et la manière dont cette connaissance amène à adapter au cas par cas les stratégies d’action est une autre caractéristique commune.

Les organisations peuvent ainsi participer à lever, en dialoguant avec les bons interlocuteurs (chefs traditionnels et religieux, maris opposants), les obstacles, toujours incarnés différemment dans chaque communauté, à une amélioration de l’accès des femmes au foncier ou à leur expression dans les instances foncières. Elles concourent par exemple à convaincre de l’utilité et de la légitimité de leur représentation par certaines d’entre elles choisies d’abord par les femmes de la communauté.

Dans toutes les zones d’étude, le fait que des groupes de femmes aient joué dans un passé proche un rôle notable, plus marqué que les hommes, pour empêcher l’accaparement de terres du village a souvent fourni un levier important pour faire évoluer la position des chefs de terre et de village à leur égard.

Des différences de contexte importantes interviennent entre les trois régions où les actions ont été questionnées. La plus grande relève du cadre légal national. La Loi sur le Foncier Agricole de 2017 au Mali a introduit en droit la compétence officielle de l’échelon villageois en matière de gouvernance foncière. La Commission foncière villageoise (COFOV) qu’elle institue prévoit même que soit représenté•e•s, au côté des autorités traditionnelles dans ce domaine, des représentant•e•s des femmes et des jeunes de la communauté. Quoique l’État se montre très peu investi dans sa mise en application - la mise en place des COFOV selon un processus interactif en 10 étapes, village après village, est au cœur du travail de l’UACDDDD - elle constitue un appui de taille. Cette loi est elle-même le fruit d’une mobilisation de longue haleine de mouvements citoyens, paysans et de juristes alliés contre l’accaparement des terres dont l’UACDDDD a été une composante majeure. Elle fournit de solides arguments auprès des communautés pour opérer les transformations sociales proposées : les autorités traditionnelles s’en trouvent reconnues et valorisées dans leur rôle politique mais aussi juridique (le règlement des différends fonciers est d’abord et avant tout confié aux COFOV, qui délivrent également les attestations de détention coutumière), la loi souligne l’importance de la représentation des femmes.

Au Sénégal, la gouvernance du foncier échoit non au village, échelon généralement perçu pourtant comme le plus légitime, mais à la municipalité, échelle où la représentation citoyenne par des femmes est possible mais soulève des difficultés supplémentaires. ENDA Pronat soutient donc, entre autres par des formations sur le cadre juridique foncier, l’accès des femmes aux instances municipales : soit au mandat de conseillère municipale élue (qui implique le biais de l’adhésion à un parti et à sa ligne dans ce domaine), soit au titre de “femmes leaders” au sein des commissions domaniales. Dans un certain nombre de cas, elle plaide pour la mise en place de « comités villageois paritaires » (mais alors, contrairement au Mali, sans le poids symbolique et juridique de la loi).

Le travail réalisé est transformateur. La représentation de la place que peuvent occuper les femmes dans la société locale, la vie politique et économique (notamment la production agricole et alimentaire), évolue chez les individus interrogés à commencer par les femmes elles-mêmes qui ont souvent intériorisé la domination masculine. Elle évolue également chez les hommes et notamment des chefs traditionnels et religieux. La condition « foncière » des femmes interrogées s’est concrètement améliorée avec les actions menées en termes d’accès sécurisé à la terre - souvent au travers de champs collectifs - et de capacités à défendre leurs intérêts en matière de foncier au sein de la communauté. La perspective d’une prise en main collective de l’orientation agricole territoriale semble aussi s’ouvrir à la faveur des actions analysées, vers des usages plus écologiques et générateurs de revenus. Les partenaires de l’étude considèrent qu’il est d’une haute importance de les soutenir, les renforcer et les faire connaître pour les étendre.

Des limites ont été bien sûr identifiées. Si les champs collectifs peuvent offrir des opportunités de rémunération supplémentaires, par exemple, c’est à condition que les surfaces soient suffisantes pour l’effectif du groupe et souvent au prix d’un travail supplémentaire pour les femmes dont la charge est déjà généralement bien supérieure à celle des hommes (travail domestique et production agricole pour l’autoconsommation mais aussi dans les champs des hommes). Les gains supplémentaires qu’elles en retirent sont parfois bien utiles à l’amélioration de l’alimentation, de l’accès à l’éducation et à la santé, la vie sociale (mariages, enterrements...), ou alors à la couverture de nouveaux besoins (téléphones, motos…) de leurs enfants ou des autres membres de leur famille. Mais les groupements féminins font aussi avancer la prise de conscience du déséquilibre des rapports de travail et de pouvoir entre femmes et hommes, et de la pertinence que les initiatives des femmes peuvent avoir pour l’avenir de leur communauté (notamment sur la base de l’agro-écologie). De telles prises de conscience participent sans doute à rendre possible les changements factuels ; faisant dire à certain•e•s militant•e•s que « les champs collectifs sont des universités de transformation sociale ». Ainsi, un renforcement et une diffusion de l’action pourrait bien permettre à terme de lever des freins qui semblent aujourd’hui encore serrés.


Quelques considérations échangées par les militantes de l’accès des femmes au foncier sur les champs collectifs

« Le problème avec les groupements c’est que tu es 80 ou 100 femmes, tu fais une demande et tu as 3 ha. Donc c’est mieux de pouvoir négocier avec ta famille d’avoir ta propre parcelle de 1 ou 2 ha où tu pourras investir. » (Thérèse Mbaye)

“Mais attention certaines femmes n’ont accès à la terre que via ces groupements donc ils sont importants. Ces champs sont aussi des prétextes au regroupement ensemble, pour la formation, le renforcement mutuel… Certes ce n’est pas suffisant, mais c’est une étape importante ! C’est petit mais mieux que rien. L’idée est de faire en sorte que ce foncier collectif reste là mais aussi qu’elles puissent accéder ailleurs de façon individuelle, qu’elles ne soient pas cantonnées au collectif.” (Pauline Ndiaye)

“Il y a deux champs collectifs à Kamalé-Kakélé qui ont servi aussi pour accueillir les femmes qui viennent d’ailleurs, qui sont venues s’installer en banlieue de Bamako avec leur famille et qui n’ont rien. Le champ collectif est là pour accueillir ces femmes, même si la parcelle est petite ça a redonné une existence sociale à ces femmes.” (Chantal Jacovetti Diallo)

« Par exemple, quand mon papa a perdu son champ, ma maman avait besoin de cultiver mais on n’a pas voulu lui donner de terres au village, on lui a dit qu’il fallait qu’elle soit dans un groupement pour avoir une petite parcelle. » (Aïchata Koné)


L’émancipation des femmes réside-t-elle dans l’exercice de droits fonciers individuels ou collectifs ? Cette question n’a pas été éludée. Pour l’UACDDDD, les collectifs féminins sont la déclinaison de la gestion communautaire des terres qui doit être absolument privilégiée face l’individualisme croissant, au service, à la fois, de l’amélioration de la condition des femmes et de celle de la communauté. ENDA Pronat, quant à elle, a examiné l’accompagnement de femmes dans des formes d’accès individualisé dans les deux zones d’étude au Sénégal, où elle reste attachée dans le même temps à soutenir des solidarités entre femmes et une approche communautaire de la gouvernance des ressources naturelles.

Les Niayes ont connu au cours des dernières décennies une transformation des normes sociales vers une marchandisation et une individualisation généralisée du foncier. Dans ce contexte, ENDA Pronat accompagne les populations, hommes comme femmes, à la sécurisation de leurs droits fonciers via l’obtention de titres de délibérations auprès des municipalités. Au Fouta, dans la vallée du fleuve Sénégal, comme au Mali, la terre revêt toujours une dimension sacrée et le rapport entretenu par les un•e•s et les autres au foncier est d’abord statutaire, fonction de la structure de la société villageoise traditionnelle. Ici, comme le dit un membre d’Enda Pronat, “le titre social” prime avant le titre juridique. La démarche s’est donc concentrée sur le renforcement des capacités des femmes à négocier auprès de leur famille l’accès à des parcelles sur les terres familiales. La reconnaissance officielle, par la municipalité, n’est pas un objectif d’action prioritaire dans la mesure où elle n’est pas octroyée, ici, sans l’accord préalable des familles.

Ces cas ont été propices à engager la réflexion des partenaires sur les liens complexes qu’entretiennent les registres de l’individuel et du collectif dans toute société et, a fortiori, dans les démarches de transformation sociale et l’action féministe.

La synthèse des travaux à paraître d’ici la fin du mois de mai 2024 reviendra bien sûr sur tous les éléments résumés ici pour les développer, ainsi que sur d’autres aussi dignes d’intérêt mais qu’il a été choisi de ne pas aborder dans cette simple note d’information. Les partenaires informeront prochainement de la publication de ces produits écrits et vidéos.



 
 
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