Au milieu de l’engouement et de la frénésie des dirigeants dans la recherche d’investisseurs étrangers tous azimuts, le Collectif TANY tient à soulever deux principes fondamentaux relatifs à la gestion des terres déjà évoqués mais dont le rappel s’avère indispensable dans le contexte actuel : la vente de terre aux sociétés à capitaux majoritairement étrangers devra être interdite et la transparence vis-à-vis des citoyens sur les contrats, leur contenu et leur application devra être assurée.
La loi sur les investissements 2007-036 qui autorise la vente de terres malgaches aux investisseurs étrangers devra être modifiée
Dans le passé, les lois malgaches ont toujours interdit la vente de terrains aux étrangers. Mais la loi 2003-028 a entr’ouvert la possibilité de vente de terres aux étrangers investissant plus de 500 000 dollars US. Cette restriction a été supprimée par la loi 2007-036 et ses articles 18 et 19 rendent légale la vente de terres à toute société utilisant un prête-nom malgache. (1)
Le décret d’application de cette loi n’aurait pas encore été pris. C’est la seule réponse apportée aux protestations de la population et du Collectif TANY à travers ses publications. Même si aucune vente n’aurait encore été réalisée dans le cadre de cette loi, ce qui reste à prouver, un décret d’application ne saurait aller contre la Loi et sa non-publication ne constitue en aucun cas une garantie pour l’avenir.
La seule garantie possible est la modification de cette loi en supprimant toute possibilité de vente de terres aux étrangers ou sociétés étrangères dans les lois. Les raisons majeures sont le caractère sacré des terres des ancêtres dans la culture malgache et l’inégalité criante des capacités financières entre la majorité des citoyens malgaches et les sociétés étrangères. Laisser les sociétés à capitaux étrangers entrer en concurrence libre avec les simples citoyens malgaches fait courir un risque de disparition définitive de parties du territoire national pour les Malgaches.
La version 2-0.1 de 2016 du projet de loi sur la propriété foncière titrée va aussi dans le même sens. Des organisations de la société civile ont émis des critiques sur ce projet de loi (2) et ont vainement demandé aux autorités un débat national sur le sujet.
Le processus d’investissement doit être transparent vis-à-vis de tous les citoyens
La transparence est nécessaire pour augmenter la probabilité d’une bonne gestion des terres. Dès le début des négociations, l’information préalable du public sur les échanges en cours devrait être la règle. Ceci favorisera les Malgaches dans le rapport de forces et donnera l’opportunité de vérifier préalablement la fiabilité des investisseurs potentiels. Rendre publics les contrats et ses différentes clauses diminuera également les risques d’abus et tromperie.
La mise à disposition du public de tous les contrats de bail sur les terres permettra à tous les citoyens de s’informer sur la gestion des terres, de contribuer au suivi de la réalisation des contrats, et de connaître leurs impacts positifs et négatifs. Le partenariat de la société civile et de l’Etat dans la mise à jour régulière d’un « registre public » consultable par tous les citoyens par divers moyens, dont internet, permettra aux membres des commissions foncières de chaque commune de collaborer dans la réception et l’envoi vers les structures de l’Etat de toutes les données relatives aux terres, à leurs locations et à leurs ventes éventuelles. Cette commission correspond à une proposition d’élargissement de la composition et des fonctions de la commission de reconnaissance locale existant actuellement dans la loi 2006-031 (3). Une généralisation à toutes les communes est proposée car la commission de reconnaissance locale existe seulement dans les communes munies d’un guichet foncier, qui sont au nombre de 523 actuellement, donc plus de 1.000 communes ne disposent pas encore d’une telle commission. Par ailleurs, l’insuffisance des échanges et coordination des informations sur les plans locaux d’occupation foncière entre les services fonciers et les guichets fonciers a probablement affecté la fiabilité des informations sur les registres des services fonciers alors que la méthode suggérée permettra une circulation plus limpide des informations entre le local et le central, dans les deux sens bien évidemment. De plus, les décisions souvent prises au niveau central sur l’attribution de terres seront ainsi plus facilement accessibles aux structures décentralisées et aux citoyens.
Cette méthode de travail évitera en particulier la situation inouïe vécue ces dernières années qui a amené l’Etat malgache à ne pas être en mesure, semble-t-il, de connaître l’état des lieux des terrains de l’Etat attribués à d’autres entités, sous forme de location ou de vente. L’Etat a ainsi eu recours à plusieurs organismes internationaux pour réaliser cet inventaire, non achevé selon nos informations. Comme de nouveaux terrains de l’Etat ont sûrement été attribués entretemps à des investisseurs ou autres entités, la méthode préconisée permettra une mise à jour plus régulière et à moindre coût.
Ce cas constitue un exemple évident de l’existence de méthodes de travail qui permettraient aux Malgaches de gérer leurs biens par une collaboration entre l’Etat et les citoyens sans attendre ni quémander des financements extérieurs.
Le Collectif TANY réitère aussi fortement sa proposition de création d’une nouvelle structure de réflexion, mise en œuvre, coordination et évaluation par la société civile et les citoyens, de la politique de gestion des terres et des investissements sur les terres, dénommée CREDES ou Comité pour le Respect de l’Environnement et du Développement Economique et Social (4) , dont les fonctions ne se chevaucheront pas avec celles du Commissaire général de l’Organisme de Coordination et de Suivi des Investissements et de leurs Financements (OCSIF).(5)
En effet, les dirigeants malgaches sont en train de prendre des décisions très importantes qui engagent le pays et les futures générations sur le long terme, certaines de ces décisions sont liées aux investissements étrangers que tous les citoyens ont la responsabilité de connaître, mieux approfondir et surveiller.
Vigilance sur les futurs investissements et les engagements !
Puisque les dirigeants et hauts responsables de l’Etat malgache appellent les investisseurs à venir à Madagascar, de multiples pays venant de tous les continents commencent à signer des memoranda, ententes préalables, accords, etc… avec eux. Malheureusement, les citoyens ne sont pas informés du détail des engagements à long terme signés en leur nom. Quelques sujets ont retenu particulièrement l’attention du Collectif TANY :
La création de zones économiques spéciales (ZES) dans diverses régions de Madagascar est envisagée et l’attribution de celle de Fort-Dauphin aux Mauriciens a provoqué une levée de boucliers notable de la part de groupes habituellement favorables aux investissements, ce qui a accru la curiosité et la méfiance de nombreux citoyens sur ce sujet. Le contenu d’un mémorandum signé entre l’EDBM (l’Economic Development Board of Madagascar) et le Board Investment of Mauritius en mars 2016 pour favoriser l’arrivée des entreprises mauriciennes et de l’accord-cadre visant à promouvoir la coopération technique dans divers secteurs dont l’agriculture, la pêche et le tourisme mérite notamment davantage de transparence. (6) Le projet de loi sur les ZES devrait également être diffusé au grand public.
Un projet de loi sur les zones d’investissement agricole (ZIA) est également en cours d’élaboration. Ces zones sont « destinées aux exploitations agricoles et économiques des investisseurs ‘privés nationaux et étrangers’ dans le cadre du Programme National Foncier (PNF) et du Programme National d’Investissement Agricole, Elevage et Pêche (PNIAEP) et prévoient de créer 2 millions d’hectares de ZIA en 10 ans » (7). Une première vague de ZIA d’environ 1000 ha mise en place dans le Vakinankaratra avec le slogan « Zéro Expulsion » - se distingue par une contestation des communautés locales à cause des nombreuses annonces d’expulsions tout à fait contraires aux promesses (8).
Parmi les nombreux accords signés avec les dirigeants chinois fin Mars 2017 à Beijing, figure un mémorandum pour la « mise en place d’une zone économique exclusive (ZEE) par la Chine à Madagascar et la construction d’un grand port, prévue dans la baie de Narinda, sur la côte nord-ouest de la Grande Ile ». Sachant que la ZEE malgache recouvre environ 1,4 million voire 4 millions de km2 (9), le domaine maritime fait donc aussi désormais l’objet de contrats gigantesques.
En réaction à une citation rapportée par la presse concernant « la volonté réitérée du président malgache de voir Madagascar intégrer la « Ceinture et la Route » de la Soie, initiative économique du président chinois (10), le Collectif TANY ne peut que partager l’expérience du Sri-Lanka pour nourrir les réflexions et alerter tous les citoyens : « après avoir fait appel à la Chine pour lancer de grands travaux (autoroutes, ports et aéroports sur toute l’île), le gouvernement sri-lankais a du mal à payer ses emprunts et se retrouve contraint d’offrir aux entreprises chinoises plus de terrains et d’avantages. Ceci réjouit Pékin, qui veut faire de cette île de l’Océan indien l’un de ses ports stratégiques dans la région. Mais cela effraie la population locale qui pourrait être expulsée de ses terres pour laisser places aux ambitions chinoises ». (11)
Conclusion :
Si l’objectif des dirigeants malgaches est réellement d’assurer une amélioration des revenus et du bien-être de la majorité des habitants, l’adoption de la modération, de la prudence et de la transparence parmi les principes de travail dans le cadre des investissements s’avère indispensable, en plus de la gestion raisonnée des terres et des ressources naturelles pour en préserver suffisamment pour les futures générations.
Le partage préalable d’informations dans le cadre des projets d’investissements par les techniciens et décideurs de l’Etat central nécessite la reconnaissance effective par les dirigeants et agents de l’Etat
des droits fondamentaux à l‘information de tous les citoyens et notamment des structures décentralisées comme les communes
et de la responsabilité de tous et du devoir de chacun de participer à la gestion du pays, l’implication citoyenne.
Le Collectif TANY réitère avec force que, avant toute prise de décision, les projets importants engageant les Malgaches sur plusieurs générations, doivent faire l’objet d’une transparence particulière de la part des dirigeants et d’un débat public impliquant tous les citoyens, car les conséquences à court et long terme peuvent provoquer des désastres sur la majorité des habitants déjà en difficulté.
Paris, le 17 avril 2017
Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
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