Le Collectif TANY a publié récemment des « considérations préalables à une nouvelle politique de gestion des terres malgaches » [1]. Ces propositions résultent de réflexions et d’échanges au sein du Collectif depuis plusieurs mois. Avant d’aborder la politique foncière proprement dite, il semble nécessaire de poser le cadre général et le contexte.
Une politique visant un développement de l’ensemble des Malgaches et une autosuffisance alimentaire ?
Le Collectif TANY a pour but de contribuer à la défense des terres et des ressources naturelles malgaches et de soutenir les citoyens et les paysans de Madagascar dans leur développement et dans leurs luttes pour la défense de leurs terres et ressources naturelles.
La situation nationale se caractérise par la contradiction entre la richesse de Madagascar en ressources naturelles et la pauvreté de la majorité des Malgaches, plus de 92% selon les statistiques de l’année 2013 [2].
Dans ce contexte, le président national du parti nouvellement formé Hery Vaovaon’i Madagasikara (HVM), également Ministre d’État chargé des Infrastructures, de l’Équipement et de l’Aménagement du Territoire - et donc en charge du Foncier - a déclaré le 29 mai 2014 : « le HVM penche plutôt vers une "Droite libérale", sans pour autant oublier le bien être du petit peuple » [3]. Il est aussi intéressant de noter dans la déclaration de Politique Générale de l’Etat du Premier Ministre devant l’Assemblée Nationale, le 9 mai 2014, la brève allusion au monde rural où il a évoqué son « développement freiné par la technicité trop limité des acteurs et l’insuffisance des moyens matériels et financiers disponibles » [4].
Face à ces deux déclarations, le Collectif TANY s’inquiète du sort qui sera réservé aux 92 % de la population malgache par la politique que le nouveau gouvernement entend appliquer. Va-t-il opter pour une politique visant le développement de la majorité de la population ? Compte tenu de la situation d’extrême pauvreté actuelle, il est nécessaire de mettre en place une politique visant un développement assurant des revenus décents à cette majorité et respectant ses droits humains élémentaires comme l’alimentation.
A notre sens, seule une politique s’attachant avant tout à développer l’agriculture familiale paysanne pourra permettre à notre pays d’atteindre cet objectif.
Le Collectif TANY est en attente de la publication de la politique nationale agricole et du choix stratégique qui y sera fait :
Accordera-t-elle la priorité à une agriculture basée sur de grandes exploitations agro-industrielles dominées par des investissements
étrangers qui pratiqueront de la monoculture destinée principalement à l’exportation ? Les données sur les sociétés de ce type qui existent déjà à Madagascar montrent que les emplois qu’elles génèrent sont en nombre limité et précaires [5]. La forte mécanisation du système de production agricole adopté par ces compagnies et les objectifs de réduction des coûts de production des investisseurs les amènent à limiter les charges salariales et les recrutements.
Ou décidera-t-elle plutôt d’appuyer fortement l’agriculture familiale où les paysans cultiveront sur leurs terres pour assurer en priorité la subsistance de leurs familles, auront le pouvoir de décision et de contrôle sur le système de production, combineront la culture, l’élevage et la pisciculture ou la pêche pour prévenir les risques, utiliseront essentiellement la main d’oeuvre familiale,
fournissant ainsi des emplois aux ruraux, et écouleront leurs surplus sur les marchés ?
Ou cette politique combinera-t-elle les deux types de modes de production agricole ? Si oui, dans quelles proportions respectives ?
Quel pourcentage du budget de l’Etat sera accordé à l’Agriculture, notamment pour aider l’agriculture paysanne à se moderniser et
à pouvoir vivre de son travail après ces dernières années difficiles ? [6]
Le Collectif TANY ose encore espérer que les autorités et responsables décideront d’accorder la priorité à l’agriculture familiale paysanne et d’apporter un soutien fort de l’Etat aux paysans malgaches car ils constituent la majorité de la population nationale et sont capables d’assurer l’autosuffisance alimentaire des villes et des campagnes s’ils sont appuyés de manière suffisante dans la
disponibilité de terres agricoles, les moyens matériels et financiers nécessaires ainsi que l’aménagement des infrastructures d’irrigation et d’évacuation des produits vers les marchés.
Pour une politique foncière favorisant les intérêts de la majorité de la population
A Madagascar, des accords avec des investisseurs étrangers, mal négociés, sont au détriment de la nation et des communautés locales. Les investissements agricoles par des nationaux ou des étrangers pour des monocultures sur de vastes surfaces [7] ne sont pas les seuls à provoquer des accaparements de terres, c’est-à-dire une spoliation des droits des paysans et de la population rurale, sous la forme d’expulsions et de perte d’accès à leurs terres et à leurs ressources. L’Etat attribue des surfaces de plus en plus importantes aux sociétés minières et pétrolières [8] dont nous parlerons dans une prochaine publication. L’installation de sites touristiques et d’aires protégées accroît aussi la pression sur les terres. La surface des terres disponibles pour les paysans malgaches se réduit donc de manière dangereuse.
Soucieux de la pérennité d’un territoire suffisant pour le développement économique et l’autosuffisance alimentaire de la population malgache, qui devrait atteindre 45 millions d’habitants en 2050 [9], le Collectif TANY réclame la mise en place d’une nouvelle politique de gestion des terres sécurisant les exploitations paysannes et favorisant en priorité les intérêts des cultivateurs, éleveurs et pêcheurs, dans l’accès durable aux ressources et la promotion des investissements.
Dans cet objectif, le Collectif TANY réitère les demandes exprimées dans ses communiqués précédents :
- l’abrogation des articles 18 et 19 de la loi sur les investissements 2007-036 qui autorisent la vente de terrains aux sociétés étrangères qui ont un associé malgache,
- l’arrêt de l’attribution de terres aux investisseurs, sous forme de bail emphytéotique, de concessions ou autres et l’arrêt des accaparements de terre, car ils foulent aux pieds les droits des familles malgaches,
- un inventaire des terrains de l’Etat déjà cédés à des individus et sociétés, nationaux ou étrangers, accompagné d’enquêtes sérieuses sur le terrain et suivi de la mise à disposition publique des données sur internet,
- le renforcement des droits des communautés locales qui vivent et travaillent sur les propriétés privées non titrées (PPNT) de manière légitime,
- et la mise en place d’une loi sur les zones de pâturage de vastes surfaces.
Dans le cadre de la réflexion sur cette nouvelle politique, le Collectif TANY soulève également d’autres points.
Considérant que les terres malgaches constituent une ressource naturelle importante dont tous les citoyens malgaches doivent veiller à la gestion et un territoire sur lequel ils devraient être les premiers à s’épanouir et se développer, le Collectif TANY souligne que l’ensemble des citoyens doit être pleinement informé et impliqué dans toutes les décisions prises concernant les terres. Une proposition a déjà été émise d’un aménagement du territoire, notamment dans les zones rurales et périurbaines, accordant la priorité à la délimitation d’espaces du territoire dédiés exclusivement à l’autosuffisance alimentaire locale, en donnant une priorité à la culture vivrière, l’élevage, la pêche,… et d’une utilisation des terres et de l’eau privilégiant les exploitations familiales et/ou communautaires afin d’assurer des emplois indépendants [10], des revenus décents et une alimentation correcte à la majorité des Malgaches des générations présentes et futures [11]. Pour cela, les études et les décisions sur le foncier et l’aménagement du territoire relèveront de la responsabilité d’une commission au niveau de chaque commune à laquelle participera un maximum de citoyens représentant toutes les catégories d’acteurs et qui commencera par faire un état des lieux de la situation des terrains de différents statuts au sein de la commune avant de prendre toute nouvelle décision. Une coordination au niveau national et avec les services fonciers des communes et de l’Etat sera organisée.
Face aux nombreux conflits fonciers, cet état des lieux et inventaire des différents statuts de chaque terrain constitueront l’occasion d’identifier et d’échanger sur les cas problématiques dans chaque commune, voire dans chaque fokontany, notamment autour de l’attribution de certificats ou titres fonciers ou de l’identification des terrains titrés non mis en valeur depuis plusieurs années.
Si l’information relative à la création de nouvelles zones d’investissement agricole se confirme, la mise en place de zones économiques agricoles de subsistances (ZEAS) devra immédiatement être introduite dans les lois pour assurer la subsistance des populations vulnérables, en nombre important à Madagascar (1). Leur évolution devrait transformer ces espaces en zones économiques exclusives pour le développement de l’agriculture familiale paysanne.
Puisque des terres de vastes surfaces ont déjà été mises à la disposition des investisseurs nationaux et étrangers pour l’agro-industrie, l’Etat devra absolument sauvegarder l’agriculture familiale paysanne et multiplier les attributions de terres aux paysans malgaches.
En effet, la surface moyenne des terres agricoles des exploitations familiales est de 0,87 ha, quantité largement insuffisante pour une famille selon les spécialistes, que celle-ci pratique la riziculture de bas-fond ou de plateau, par exemple. Et de nombreuses familles sont « sans-terre ». Cette situation mérite la recherche de solutions urgentes.
Par ailleurs, beaucoup de jeunes des familles rurales migrent vers les villes car ils ne trouvent pas de parcelles disponibles dans leurs villages en raison de l’explosion démographique, alors qu’en milieu urbain malgache, les offres d’emplois dans les secteurs de l’industrie et des services ont toujours été très inférieures aux besoins. Dans le passé, des tentatives d’installation de jeunes auraient échoué à moitié ou totalement, par insuffisance d’appui et d’accompagnement aux nouveaux « migrants ». A notre connaissance, certains de ces jeunes n’étaient pas issus du milieu rural. Un bilan constructif de ces expériences devrait être mené puisque certains bénéficiaires de ces terrains offerts ont réussi. Dans le contexte actuel, l’appui en termes de sécurité des biens et des personnes s’avère primordial [12] en plus de l’accompagnement technique et de l’appui matériel sous forme d’intrants et autres petits équipements.
Pour une politique foncière moderne légalisant les droits légitimes de la majorité de la population
Par ailleurs, les lois sur le Foncier datant de la colonisation devraient être mises à jour et révisées. L’immatriculation des terres et la nécessité des titres fonciers ont été mises en place en 1896, en vue notamment de l’appropriation des terres par les colons. Les titres ne devraient plus être « définitifs et inattaquables » [13] car la conséquence actuelle de cette situation est la perpétuation des droits des détenteurs de titres sur les terrains concernés, même lorsque les colons qui les avaient obtenus ont quitté Madagascar en 1947, en 1960 ou en 1972, par exemple. Des familles malgaches ont occupé ces terrains entretemps pendant des générations. Mais dans de nombreux cas, le nouveau regain de valeur des terres dans le monde a amené les descendants des colons à venir réclamer ces terres auxquelles ils ne se sont jamais intéressés. Les familles qui y ont vécu et travaillé se retrouvent alors sans droit et dans une insécurité totale. Le caractère « éternel » des droits accordés par les titres fonciers devra également être revu et modifié, par exemple par l’introduction de la notion de prescription [14] selon une durée à discuter, dans les nouvelles lois sur les terrains titrés. Des lois relatives aux terrains aux statuts obsolètes, réserves indigènes, concessions coloniales, terrains titrés au nom des colons, anciens AMVR, opérations cadastrales non finalisées, devraient être mises en place en faveur des familles qui ont occupé et cultivé ces terrains, leur versement dans la catégorie des propriétés privées non titrées (PPNT) a déjà été proposé par divers acteurs [15].
La réforme foncière de 2005 a décentralisé la gestion foncière et a reconnu la présomption de propriété privée pour les occupants des terrains classés dans les propriétés privées non titrées (PPNT). Leur identification dans le cadre d’un plan d’occupation foncière (PLOF) et leur enregistrement auprès des services fonciers devraient suffire pour sécuriser les occupants qui se sont « appropriés [des terrains] selon les coutumes et les usages du moment et du lieu », suite à leur validation par la commission de reconnaissance locale et les voisins, selon les lois 2005-019 et 2006-031 [16]. Le renforcement de ce droit devrait être rendu effectif et diffusé sur tout le territoire pour que tous le connaissent et le respectent, à commencer par les agents de l’Etat, même dans le millier de communes qui ne disposent pas de guichet foncier. Chaque citoyen entreprendra ensuite la démarche de demande de certificat foncier ou titre foncier s’il le souhaite.
En effet, les seuls droits légaux habituellement connus par une partie des décideurs malgaches sont les droits de propriété [17] matérialisés par la détention d’un titre ou d’un certificat foncier. Pourtant, la possession collective par le lignage ou la gestion des terres par les chefs coutumiers existent dans diverses zones de Madagascar [18]. Le Collectif TANY réitère le renforcement de la reconnaissance des droits d’usage et des pratiques, y compris coutumières, dans les lois foncières malgaches, comme recommandé par les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale [19].
Par ailleurs, les travaux d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie 2009, sur les « communs » ont mis en évidence la manière dont « les communautés dans le monde s’organisent pour gérer durablement les ressources naturelles » en les considérant comme un patrimoine de la nation, et non pas de l’Etat, et en reconnaissant que ces ressources sont des biens communs. Cette notion, différente du collectivisme, devrait être approfondie et mise à profit dans les réflexions et décisions sur l’engagement démocratique de tous les citoyens dans la gestion des terres, ce bien commun auquel les Malgaches sont fortement attachés [20].
Les paysans réalisent des investissements tous les jours par leur travail et leurs efforts mais l’état actuel de l’économie nationale ainsi que les besoins de développement importants de l’agriculture malgache rendent la participation des investisseurs nationaux et étrangers au financement de l’agriculture incontournable. Mais ces investissements ne devraient plus comporter de nouvelles attributions de terres. Les expériences du passé à Madagascar ont montré que cette pratique n’amène pas le développement promis (5). Quelques propositions de lois et régulations à mettre en place à ce sujet, suite aux leçons tirées du passé, feront l’objet du prochain communiqué du Collectif TANY.
A l’échelle planétaire, après les crises alimentaire et financière de 2008, l’essor de l’agriculture industrialisée au détriment de l’agriculture familiale vivrière, lié à l’attribution de terres de vastes surfaces à des sociétés venant souvent de secteurs non-agricoles et à des fonds financiers divers, dont l’objectif principal - voire unique - est la rentabilité, a amené différents chercheurs et praticiens à réaliser des études sur ce nouveau « montage agroindustriel et financier » et à lancer des alertes sur les « dangers associés aux acquisitions de terres à grande échelle », cet autre nom que portent les « accaparements de terres » [21].
Paris, le 2 juin 2014
Le Collectif pour la défense des terres malgaches - TANY
patrimoine.malgache@yahoo.fr ou patrimoinemalgache_2014@yahoo.fr
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