En pointant des questions encore peu traitées, plusieurs articles récents du site d’AGTER tirent la sonnette d’alarme sur le futur que nous nous préparons. Tous les indicateurs sont au rouge : les crises majeures n’éclateront pas dans quelques siècles, leur développement a déjà commencé.
Henri Rouillé d’Orfeuil montre en quoi l’évolution démographique et les évictions paysannes massives dans le monde nous conduisent tout droit à une situation ingérable et absurde. Si les tendances actuelles se confirment, il faudrait pouvoir créer plus de 3,5 milliards d’emplois d’ici 2050 pour que tous les humains aient un travail qui leur permette de vivre. Rouillé d’Orfeuil démonte les chiffres présentés par la Banque Mondiale dans son rapport 2013 sur l’État du monde et pointe une faille majeure de son système de prévision macroéconomique, l’hypothèse du plein emploi, complètement fantaisiste dans le contexte actuel !
Frédéric Dévé attire notre attention sur les derniers chiffres du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde auxquels est parvenue la FAO en affinant sa méthode de mesure. Il y aurait entre 1,5 et 2,5 milliards d’affamés, soit plus de deux fois plus que les chiffres habituellement avancés, qui restent toutefois les seuls mis en avant dans son rapport de 2012 sur l’insécurité alimentaire. C’est des annexes de ce rapport que Dévé exhume des chiffres probables au moins deux fois plus importants !
Nous affirmons, sur la base des réflexions menées au sein d’AGTER, que les phénomènes d’accaparement des terres et de privatisation des biens communs qui se traduisent par la multiplication de très grandes unités de production agricoles partout dans le monde constituent une menace pour l’humanité toute entière (voir communication à l’Académie d’Agriculture de France). La plupart des études publiées sur ces questions, et en particulier celle de la Banque Mondiale de 2011 et celle de l’ILC (International Land Coalition) en 2012 soulignent qu’il y a danger, mais sans chercher à expliquer les mécanismes à l’œuvre. Beaucoup entretiennent l’idée que la coexistence de très grandes entreprises et de petits producteurs est non seulement possible, mais souhaitable, n’ayant pas compris que le développement des premières est une des causes essentielles de la ruine des paysanneries et de la crise mondiale que nous vivons.
Des sujets de préoccupation du même ordre que nous n’avons pas abordés directement ont été développés par d’autres : le réchauffement climatique, la dégradation des sols et des écosystèmes maritimes et terrestres, etc.. Mais face à toutes ces menaces, les réactions dominantes sont aussi timides qu’irresponsables. Nos petits et arrière-petits enfants, s’ils réussissent à surmonter les épreuves terribles qui les attendent, n’auront certainement pas de mots assez durs pour décrire la mascarade des objectifs du millénaire et les analyses aberrantes qui les sous-tendent.
Certes, l’approbation en mai 2012 par le Comité de la Sécurité Alimentaire des Directives Volontaires sur la gouvernance de la terre et des ressources naturelles, rendu possible grâce à la mobilisation de la société civile mondiale, constitue un pas dans la bonne direction. Mais celui-ci reste très insuffisant. Penser qu’il suffira de convaincre les gouvernements de les intégrer dans leurs cadres juridiques nationaux pour que leur application devienne obligatoire serait une grave erreur. Les défis sont d’une autre nature, du fait des rapports de force très inégaux entre les acteurs, des interdépendances entre les États, de l’existence de puissants agents économiques transnationaux. Ils se situent désormais à l’échelle planétaire et nous ne pouvons plus éluder la question de la gouvernance globale.
Personne n’a pour le moment les réponses ni les solutions. Il nous faudra revoir un certain nombre de valeurs, de concepts, de supposés que nous croyions définis une fois pour toutes et réarticuler l’économique et le social au lieu de continuer systématiquement à les traiter séparément. Nous devrons améliorer notre compréhension des droits humains fondamentaux. Chaque individu a le droit d’avoir une alimentation suffisante, de l’eau potable, etc. mais il a aussi celui de conserver une planète vivable, pour lui, ses enfants et ses petits enfants. Des droits et des devoirs ! La réflexion sur les captures des biens communs et des richesses naturelles et l’analyse de la répartition de la valeur ajoutée entre les travailleurs, les détenteurs des capitaux, et les propriétaires terriens que nous avons développées ouvrent de nouvelles perspectives et conduisent à regarder différemment les « investissements » dont on nous parle sans arrêt et qui relèvent souvent de la mystification.
Il faut du courage et de l’audace pour penser à long terme et prendre les décisions, souvent contraires aux intérêts immédiats des principaux décideurs, qui permettront d’éviter l’effondrement global qui nous menace. Au XXe siècle, des dizaines de millions de morts, lors de génocides et de plusieurs conflits mondiaux, ont été "nécessaires" pour que l’humanité commence à réagir en créant le système des Nations Unies, dans le cadre d’un équilibre de deux blocs dont l’affrontement direct aurait signifié une catastrophe encore plus terrible. La crise globale que nous vivons aujourd’hui présente bien des similitudes avec celle du début du XXe siècle. Rien ne permet d’affirmer que nous saurons y faire face, mais nous ne devons renoncer à explorer aucune piste, ni éliminer aucune idée, pour irréaliste qu’elle puisse sembler dans l’immédiat, pour éviter le pire.
Michel Merlet
AGTER, Directeur
DIVERS
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